Quelques mois après la Birmanie, c'est un autre peuple bouddhiste qui se rebelle contre un pouvoir despotique. Il s'agit cette fois-ci des Tibétains qui se soulèvent contre la colonisation chinoise qui vise explicitement à transformer le Tibet en une province ordinaire de la Chine. Après des décennies passées à respecter la ligne pacifiste du Dalaï Lama, chef spirituel et chef du gouvernement en exil du Tibet, les jeunes Tibétains semblent ne plus avoir de patience, alors qu'ils craignent que la disparition du Dalaï Lama n'enterre à jamais l'identité du Tibet. La Chine a d'ores et déjà prévenu qu'elle mettrait elle-même en place le Dalaï Lama de son choix lorsque Tenzin Gyatso décèderait. Du reste, les Tibétains ne réclament pas l'indépendance vis-à-vis de la Chine, mais seulement l'autonomie, et la limitation de la colonisation qui fait disparaître leur culture. Mais le pouvoir chinois voit la question du Tibet comme celle de Taïwan : ce sont des territoires qui lui reviennent, et cela n'est pas négotiable. Ces points sont au coeur de la doctrine nationaliste chinoise, et reculer reviendrait à perdre gravement la face pour les Chinois. S'il y a bien un domaine où le comportement chinois peut être prédit avec certitude, c'est celui-là. L'intérêt du Parti Communiste Chinois passe avant tout, viennent ensuite les intérêts vitaux de la Chine dont le Tibet fait parti, les questions d'image ou de commerce viennent bien, bien après.

L'Occident assiste désoeuvré à la répression chinoise au Tibet. Que peut-il faire ? Les économies occidentales sont désormais trop dépendantes de la Chine pour envisager sérieusement des sanctions commerciales. Les diplomates et les chefs d'Etat peuvent critiquer la Chine lors des rencontres officielles sur la question des droits de l'homme, c'est nécessaire pour pouvoir continuer à se regarder dans la glace, mais il n'y a aucune chance que cela fasse changer le gouvernement chinois de politique. Actuellement, un mouvement se créé pour appeler au boycott des Jeux Olympiques qui auront lieu à Pékin à l'été. L'idée serait de montrer que l'on ne cautionne pas les agissements chinois, de ne pas vouloir participer à ce qui risque une célébration de la gloire chinoise, rappelant un peu ce qu'il se passa aux Jeux de Berlin en 1936. L'intention est sincère et louable, mais en terme d'efficacité, cela ne peut être que limité.

En effet, l'arrivée des Jeux Olympiques est un motif de fierté nationale pour la Chine. Mais s'ils venaient à mal se dérouler, le gouvernement chinois viendrait à accuser les pays étrangers et "la clique du Dalaï Lama" d'avoir humilier la Chine. La conséquence serait surtout une nouvelle poussée nationaliste. Le Dalaï Lama se défend déjà de vouloir troubler l'organisation des Jeux, et affirme souhaiter qu'ils se déroulent en Chine. Il y a néanmoins une autre force qui proteste avec vigueur contre le boycott des Jeux Olympiques : les sportifs. Ceux-ci voient avec stupeur les nuages s'amonceler sur un événement dont ils rèvent toute leur vie. Les Jeux sont rares, et un athlète n'y va que quelques fois au mieux dans sa carrière. Les sportifs se préparent toute leur vie dans l'espoir de décrocher une médaille, ou tout simplement pour pouvoir y participer. Ils découvrent donc avec stupeur la remise en cause de leur objectif, du but de tous leurs efforts. Il n'est dès lors pas étonnant qu'ils se prononcent unanimement contre le boycott des Jeux Olympiques.

Ils devraient néamoins demander des comptes aux véritables responsables de la situation. Le Comité International Olympique savait, en attribuant les Jeux à Pékin en 2001, que la Chine faisait peu de cas des droits de l'homme. Son président, Jacques Rogge, peut déclarer de sa candeur la plus hypocrite qu'il croit que les Jeux Olympiques peuvent aider la Chine à changer en bien. Il n'en reste pas moins qu'il sait comme tout le monde que les Jeux de Pékin sont surtout vu par la Chine comme l'occasion de démontrer au monde sa puissance, comme ce sera également le cas lors de l'exposition universelle de Shangaï en 2010, et certainement pas comme un événement politique.

Lors de l'attribution des Jeux à une ville, le CIO affirme toujours publiquement prendre prioritairement en compte l'intérêt des athlètes. Comment la situation actuelle pourrait-elle être davantage un énorme ratage ? De voir les jeux boycottés à cause du mauvais choix du CIO, voilà quel serait le pire événement pour les athlètes. Ce ratage se comprend mieux lorsque l'on se décide à appréhender la réalité : l'intérêt des athlètes n'est pour le CIO qu'un prétexte. Le mouvement olympique est notoirement corrompu, cela a été prouvé lors de l'attribution des Jeux de Salt Lake City, et une équipe de journalistes britanniques l'avait à nouveau démontré avant l'attribution des Jeux de 2012. Peu importe l'intérêt des athlètes, le CIO est vulnérable aux lobbyings les plus crasseux de la part des Etats, de ses sponsors, et des volontés d'expansion de ses propres dirigeants. Dans l'éventualité d'un boycott, ce serait le CIO qui aurait le plus à perdre. Il n'est alors pas étonnant qu'il soit prêt à toutes les compromissions morales pour s'en sortir. Mais dans tout cela, où sont les valeurs de l'Olympisme ?