Le procès d'Anders Behring Breivik est au centre de l'actualité norvégienne, un an après son attentat et son effroyable massacre. Vu l'ampleur du cas, c'est également un sujet d'actualité internationale. La question de la santé mentale de Breivik est au cœur du procès, parait-il. S'il n'est pas considéré responsable car fou, il passera le restant de ses jours à l'asile. S'il l'est, il passera plusieurs décennies en prison, voire plus, puisqu'il y resterait tant qu'il serait considéré dangereux. Et en fin de compte, le fait que ce soit sa santé mentale qui soit l'enjeu du procès en dit plus sur le reste de la société que sur lui-même. En effet, cela prouve seulement notre incapacité à envisager qu'un homme puisse avoir des idées et des comportements si éloignés des nôtres... d'où notre besoin de le faire passer pour "fou".

Mais pour ce que l'on sait de cette affaire, nous ne sommes pas dans un cas de perte de la raison. Il n'a pas obéi à des voix qui, un beau matin, lui ordonnaient de massacrer des gens. Il n'a pas commis ses actes par impulsion, l'entendement obscurci par des pensées totalement incohérentes. Au contraire. Nous voilà dans le cas d'un homme qui a usé de raisonnements tout au long du processus qui l'a mené jusqu'à cette tuerie. C'est bien pour prouver cela qu'il avait mis en ligne sur Internet un ouvrage détaillant l'ensemble de ses raisons, sa façon de procéder, le problème qu'il estimait devoir résoudre, les données de ce problème, et son plan pour y arriver. D'un bout à l'autre il est resté cohérent avec lui-même. Encore maintenant, il doit être ravi de pouvoir faire la promotion de ses idées à travers ce procès très médiatisé.

Evidemment, le problème qu'il expose n'est pas le bon, et, ce qui est pire, sa méthode ne consiste qu'à tuer des gens qui n'ont pas de vrai rapport avec ce qu'il croit combattre. Plus qu'une défaillance de sa raison, son souci est la défaillance de son système de valeurs. C'est le moins que l'on puisse dire que d'affirmer qu'il n'a aucun rapport avec le notre. Ce système de valeurs est tellement aux antipodes de celui du reste de la société qu'il nous apparaît comme parfaitement horrible, difficilement envisageable, à rejeter vigoureusement... Mais lui, dans son système de valeurs prônant la supériorité de l'occident et la lutte contre ses ennemis perçus par tous les moyens, il se sent parfaitement à l'aise. Du reste, on a peu accusé les nazis ou les terroristes islamistes d'avoir perdu la raison.

Tous les gens comme Breivik sont difficilement compatibles avec la société, puisqu'ils la rejettent si violemment. Breivik a déjà prévenu qu'il consacrera toute sa vie à sa "cause", le fait qu'il soit en vie est déjà du bonus par rapport à ses plans. Il restera donc éternellement dangereux, et ne pourra donc jamais être libéré. Son extrême marginalité ne doit pas nous leurrer : il reste un humain, et oui, comme on peut le voir, un humain peut être un massacreur froid. Cela n'est pas rassurant, et cela n'a rien de valorisant pour notre espèce, mais cela doit nous rappeler quelque chose de fondamental : la raison n'est jamais le but, mais seulement le moyen.