L'Europe héberge un nombre incroyable de nationalismes régionaux. Depuis l'établissement du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, qui apparaissait en filigrane de la première guerre mondiale, l'heure n'est certes plus aux immenses empires multi-ethniques comme l'était celui d'Autriche-Hongrie, mais il existe toujours des mouvements pour diviser les pays en petits morceaux, afin de correspondre à telle ou telle identité régionale. Cela se passe par exemple en Grande-Bretagne, que certains Ecossais voudraient bien quitter pour créer un Etat écossais indépendant. C'est encore plus visible en Belgique, qui semble plus que jamais menacée de se séparer en deux ou en trois. La Yougoslavie n'en finit plus de se morceler, alors que le Kosovo et le Monténégro sont très tentés de se couper définitivement de la Serbie. Même en Italie, la solidarité entre le Nord et le Sud ne paraît plus être une évidence. La France n'est évidemment pas éloignée de cette tendance, même si elle a fini par s'habituer au bruit de fond produit par les indépendantismes corses/bretons/basques, etc. Les Basques posent d'ailleurs un problème autrement plus grave en Espagne, vu qu'il existe des organisations politiques et terroristes pour œuvrer dans ce sens. Nombreux sont ceux qui considèrent le cas du divorce à l'amiable Tchécoslovaque comme un modèle, et souhaiteraient que leur territoire puisse accéder à l'indépendance de la même façon.

Il faut néanmoins noter qu'en Tchécoslovaquie, un tel divorce fut possible parce que les entités étaient à peu près semblables, aucune ne croyant dominer l'autre. Mais la solution privilégiée pour l'instant est l'établissement de statuts autonomes pour les régions qui souhaitent s'éloigner d'un pouvoir central ne les représentant pas assez bien à leur goût. L'Allemagne est fédérale depuis la dernière guerre mondiale, cette organisation s'est bien appliquée aux Länder venant de la RDA, et aujourd'hui la Bavière est très heureuse de ses particularismes locaux par exemple. En Espagne aussi, le modèle est fédéral, ce qui garantit une autonomie conséquente à chacune de ses régions (appelées justement communautés autonomes). En France, s'il y a un mouvement de régionalisation, aucune région n'est vraiment autonome pour autant. Du reste, l'autonomie ne semble pas toujours suffit, comme on le voit chez les Basques et les Flamands. Alors l'hypothèse de nouveaux Etats en Europe ressurgit, ce qui peut sembler paradoxal alors que le projet de construction européenne a justement pour objet de rassembler les pays sur des dossiers qui nécessitent une coopération extra-nationale.

Un concept théorique possible permettant de concilier les deux tendances serait la mise en place d'une Union Européenne fédérale, qui regrouperait non pas de grands Etats, mais seulement les différentes régions, de tailles similaires, à travers l'Europe. Régions françaises, Länder allemands, communautés autonomes espagnoles, Wallonie, Flandres... Il y aurait des dizaines de ces ensembles à regrouper de cette façon. Et ce d'autant plus qu'ils existent déjà à l'heure actuelle. De fait, cela équivaudrait à une quasi-disparition des Etats regroupant ces régions. Ce serait un autre tort, car l'Histoire a montré que les nations divisées mettaient beaucoup d'énergie à se regrouper. Alors que l'Autriche-Hongrie était un attelage instable, la Prusse, la Bavière et de nombreuses principautés travaillaient à reconstituer l'unité allemande, pendant le XIXème siècle. Il est donc certain que le concept d'Europe fédérale des régions n'est pas viable, mais l'idée de la coopération directe entre les institutions européennes et ces mêmes régions demeure. Et existe déjà, dans une certaine mesure, via les fonds régionaux d'aménagement, l'un des principaux budgets de l'Union Européenne. Face à ces indépendantismes récurrents, cela peut être une voie à explorer avec plus de profondeur.