Dans quelle mesure une seule personne peut changer les choses pour tout un peuple ? Certes, chacun a son libre arbitre, et les décisions sont prises d'abord par des personnes individuelles, avant de constituer une volonté publique. Mais l'échelle d'un seul homme semble souvent trop petite pour envisager les événements historiques, tellement il y a de facteurs qui rentrent en compte dans les destinées d'un pays. Karl Marx ne voyait rien en termes d'individus, mais tout en terme de mouvements, de forces collectives structurelles succédant les unes aux autres par des relations de causalité implacables, et la vie de tous les jours ne lui apparaissait que comme la chronique d'événements d'une Histoire déjà écrite. Pourtant, il arrive que certaines personnes arrivent à faire la différence, à bouleverser l'Histoire telle qu'elle semblait aller, et parfois même à changer le monde par leur propre volonté. C'est évidemment le cas des prophètes les plus célèbres, mais en dehors du champ religieux, il arrive aussi que des êtres marquent suffisamment l'Histoire et soient reconnus des siècles plus tard pour leur contribution positive exceptionnelle. Si l'on peut penser à des personnalités comme Jeanne d'Arc ou Louis Pasteur, le champ politique est néanmoins le premier concerné dans la mesure où il offre aux individus le pouvoir nécessaire pour introduire de grands changements.

De l'époque de la monarchie, certains noms de roi sont restés, comme celui d'Henri IV, alors que d'autres sont tombés dans l'oubli. Avoir le pouvoir n'est pertinent que pour ce que l'on en fait, et il y a une différence entre se contenter d'en hériter, et décider d'en faire un véritable usage, de préférence pour l'intérêt général du pays bien sûr. Les exemples de personnalités qui ont réussi à prendre le pouvoir et à agir sans y être a priori destinée enflamment bien davantage les imaginations. Cela arrive plus facilement lors des époques troublées, où, de l'obscurité, émerge un leader, dont les qualités personnelles permettent d'obtenir l'autorité suffisante pour jeter de nouvelles bases, et recréer la puissance d'un pays. Ceux qui relèvent de cette catégorie sont des noms illustres aujourd'hui, tels que Napoléon Bonaparte, et encore plus Charles de Gaulle.

Ce dernier est un exemple parfait d'homme providentiel. Colonel anonyme pendant l'entre deux-guerre, il avait défendu l'usage des blindés dans l'armée, sans succès, mais avec raison. Après quelques rares succès au début de la deuxième guerre mondiale, il est appelé au gouvernement par le président du Conseil Paul Reynaud, l'un des seuls à l'avoir écouté les années précédentes. Il est alors fait général, mais alors que l'armistice est demandé par le maréchal Pétain, il part à Londres et appelle à la résistance lors de l'appel du 18 juin. Il devient alors le chef de la France qui s'oppose aux Allemands. En 1958 à nouveau, il incarne le recours, et met fin à la guerre d'Algérie et fonde la Vème République, plus stable et plus efficace que la IVème, à laquelle il s'est opposée.

Après coup il est difficile de ne pas reconnaître l'influence qu'ont eu de tels hommes sur l'Histoire. Beaucoup de citoyens les voient comme des sauveurs, et regrettent qu'il n'y ait pas davantage de personnes de cette dimension. Ils les recherchent pourtant, et peuvent s'enthousiasmer pour telle ou telle personne s'ils croient qu'elle peut réellement changer les choses par l'élan qu'elle donne. Nicolas Sarkozy ou François Bayrou bénéficient sans nul doute de cet effet. Mais il y a une certitude absolue chez les êtres humains : personne n'est parfait, et il ne peut y avoir de "despotisme éclairé", où un être au dessus du lot ordonnerait un nouvel ordre des choses en s'appuyant sur sa profonde sagesse. C'est une leçon qu'il faut garder à l'esprit, car c'est justement ce point qui fait que la démocratie est le moins pire des régimes : les limitations au pouvoir donné permettent d'éviter les dangereuses sorties de routes de personnalités considérés comme providentielles. Car si le général de Gaulle apparait après coup comme un sauveur pour la France, en 1940, c'était bien le maréchal Pétain qui bénéficiaient de ce type de ferveur. Avec des conséquences déplorables. Sur le moment, il peut être difficile de tout savoir. C'est pour cela que les gardes fous doivent rester en place.