Au Parti Socialiste, une partie des militants regarde avec une profonde suspicion l'autre. Car les gens "vraiment" de gauche sont très fiers d'être à gauche, face à la droite, souvent considérée comme égoïste et inhumaine. Alors ces personnes se méfient de ceux qui se déclarent être de gauche mais qui prônent des idées qui se rapprochent sous certains aspects de celles défendues par la droite. Pour les vrais socialistes, la gauche est menacée par la présence en son sein de militants qui ont trahi leurs idéaux. Ce sont les "sociaux traîtres" : ceux qui ne se réclament plus du strict socialisme, mais plutôt de la social démocratie, ou pire encore, qui osent se revendiquer comme libéraux, ce qui s'apparente alors davantage au social libéralisme.

Le social libéralisme, considéré comme une hérésie à gauche en France, est pourtant un courant d'idée majeur dans le reste du monde, en particulier dans les pays anglo-saxons. Le parti démocrate américain et le labour britannique se sont considérablement repositionnés au centre pendant les années 90, sous l'impulsion respective de Bill Clinton et de Tony Blair. La "troisième voie" défendue par ce dernier, entre interventionnisme étatique et libéralisme économique total, s'inscrit dans le social libéralisme. Ce courant accepte le capitalisme et le libéralisme comme la combinaison la plus efficace pour favoriser la prospérité, mais préconise une intervention de l'Etat modérée pour en faire la régulation et corriger certaines injustices que le libre jeu du marché a créé ou n'a pas pu empêcher. Cette influence des politiques publiques peut être décisive dans certains domaines, tels que l'assurance santé. En matière de valeurs sociétales, le social libéralisme est très ouvert, ne voyant pas d'inconvénient à des évolutions tels que le mariage homosexuel ou l'avortement. L'immigration est également moins considérée comme un problème qu'à droite.

La différence entre la social démocratie et le social libéralisme est donc le degré de libéralisme, plus prononcé dans le second. En France, alors que Dominique Strauss-Kahn a déjà du mal à promouvoir la social démocratie comme doctrine principale du PS, le social libéralisme, aussi appelé "blairisme", est considéré comme non-grata à gauche. Le maire de Mulhouse, Jean-Marie Bockel, a bien tenté d'y défendre cette troisième voie. Sa motion n'a fait que 0,65 % des voix des adhérents du PS au congrès du Mans en 2005. Il est vrai que la gauche française est particulièrement à gauche en comparaison de ses voisines, et dès lors, on peut s'interroger sur la pertinence de l'alliance entre le social libéralisme et un socialisme doctrinal. Surtout que le social libéralisme est compatible avec la démocratie chrétienne ou avec le mélange de libéralisme et de volontarisme d'un Nicolas Sarkozy. Il n'est alors pas étonnant de voir des personnalités n'ayant pas peur de se réclamer de ce courant d'idée accepter de gouverner aux côtés de l'UMP, comme elles auraient certainement répondu à l'appel de François Bayrou si celui-ci avait remporté la dernière présidentielle. A l'heure où les problèmes les plus graves en France sont d'ordre économiques, les différences modérées sur les valeurs sociétales ne sont pas en mesure de faire obstacle à une collaboration entre ces mouvements. Les socialistes doctrinaux peuvent se plaisir en accusant les sociaux libéraux de traîtrise, mais ces derniers peuvent en retour mettre en exergue l'archaïsme des derniers, et la volonté d'agir efficacement pour la prospérité de leur pays.

Photo : AFP