D'après Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre en charge des transports entre autres, le statut des cheminots ne doit pas être un tabou. C'est ce qu'elle a récemment affirmé dans une interview au Parisien. Pour comprendre comment une chose aussi impensable a pu être prononcée par un ministre, il faut voir le mouvement général du transport ferroviaire : l'ouverture à la concurrence. Evidemment, en France où les syndicats de la SNCF sont tout puissants, cette ouverture à la concurrence se fait de façon aussi lente que possible. Cela a commencé il y a quelques années par le fret. Et cela fonctionne bien pour les concurrents de la SNCF. Vendredir dernier, on apprenait ainsi que le groupe automobile PSA allait quitter le service de fret de la SNCF en faveur de concurrents privés. Pour la SNCF, c'est l'un de ses plus gros contrats qui s'en allait. Il faut dire que le manque de fiabilité du fret de la SNCF, ravagé par les grèves, a des conséquences cruelles pour ses clients...

La deuxième étape de l'ouverture à la concurrence est le transport de voyageurs, mais en étant limité à l'international. Concrètement, il faut que ce soit des lignes entre la France et un autre pays, avec la moitié des voyageurs de cette ligne embarquant à l'étranger. Cela reste donc encore très succin. Mais pendant ce temps, la SNCF n'hésite pas à prendre l'initiative à l'étranger, enrageant ses concurrents internationaux : comme dans d'autres domaines tels que l'électricité, le monopole historique français peut attaquer les marchés étrangers alors que les entreprises étrangères ne peuvent attaquer le marché français. On ne voit pas très bien pour quelles raisons la France devrait être le seul pays à être condamné à vivre sous le joug d'un monopole d'Etat, où le corporatisme est plus important que le client.

Cela finira sans doute par changer un jour ou l'autre. Il est de toute façon prévu qu'à partir de 2019, les régions pourront confier la mission des transports ferroviaires régionaux les TER en premier lieu) à d'autres opérateurs que la SNCF. Il n'est évidemment pas dit que l'ensemble du trafic basculera du côté du privé à ce moment-là, mais si on peut déjà forcer la SNCF à améliorer la qualité de son service face à la menace d'un remplacement par un concurrent, ce sera déjà ça.

En dehors de la qualité de service, il y aurait également concurrence sur les prix. Et les nouveaux entrants, qui n'auraient pas à subir tout le fatras de la législation sociale des cheminots de la SNCF, auraient indéniablement un avantage de coût sensible. Et c'est pour protéger la SNCF que le gouvernement souhaite un cadre social unifié pour tous les cheminots, ceux de la SNCF comme ceux des nouveaux opérateurs. Cela provoque évidemment la colère de ceux-ci, qui se rendent alors compte qu'ils hériteront des mêmes handicaps que la SNCF. Il faut négocier, pour trouver un terrain d'entente pour tous. C'est ainsi qu'on en vient au raisonnement de Nathalie Kosciusko-Morizet sur la suppression du statut des cheminots, comme concession face au maintien de nombreux autres avantages, pour toute la profession.

La CGT a évidemment appelé à la grève en réaction à cette parole audacieuse. Mais la grève était de toute façon prévue avant, cela ne change donc rien, et en France, la SNCF fait grève par principe, quelles que soient les raisons. Pendant ce temps-là, la SNCF est lourdement déficitaire. Elle va certainement augmenter ses tarifs, sans chercher à faire des économies. Supprimer le statut des cheminots purement et simplement pourrait pourtant être une bonne direction pour en faire. Il existe d'ores et déjà de nombreux salariés de la SNCF qui sont embauchés avec un CDI ordinaire (notamment la plupart de ceux embauchés après avoir eu 30 ans). Ce deviendrait alors la norme pour tous. Et ce, en laissant les opérateurs privés embaucher selon leurs propres critères. Si la question n'est plus taboue, alors que l'on présente une telle possibilité.