Liberté, égalité, fraternité. Voilà la devise de la France, et voilà pourquoi le peuple a fait une révolution en 1789. A l'époque, c'était une société de classes, divisée entre la noblesse, le clergé et le tiers-état. Et en l'occurrence, l'égalité c'était surtout l'abolition de telles castes, pour que chacun ait le même statut devant la loi et qu'il n'y ait pas de différences de jugement dès le départ suivant la condition sociale. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui confondent égalité et égalitarianisme. Ce second terme fait référence au fait que tout le monde devrait être parfait égal en tout, que ce soit en droits, en chances, en richesses, voire en aptitudes. Ce n'est pas une posture défendable, et c'est justement parce que chacun est différent. Suivant les qualités et les défauts de chacun, les réussites personnelles varient naturellement. Et c'est pour ça qu'une égalité parfaite des conditions est impossible. Mais pour que ces variations soient soutenables, encore faut-il qu'elles soient le résultat des efforts accomplis, des risques courus ou de talents éclatants. Ce sont les justifications de la réussite. Néanmoins, dans un grand nombre de cas, ce n'est pas possible, les règles sont flouées, et le grand mal de nos sociétés est justement ce décalage entre réussite personnelle et inégalités des chances.

En effet, toute compétition n'est juste que si au départ personne n'est handicapé. La véritable égalité républicaine, c'est l'égalité des chances comme celle des droits pour chacun des citoyens. Il est pourtant très difficile de dire que cette égalité des chances, prévue par la loi, existe dans la réalité. S'il n'existe pas à proprement parler d'obstacles juridiques qui empêche quelqu'un de suivre le parcours professionnel qu'il désire, il reste des obstacles d'autres natures, qui se traduisent dans les examens, les recrutements, sur des éléments qu'un candidat ne peut dépasser. Par exemple, la réussite scolaire d'un enfant variera selon l'attention des parents et leur propre niveau de connaissance, l'école où il fait ses études, la part de la culture extra-scolaire qu'il maîtrisera alors qu'il ne dispose pas forcément d'accès à elle. Pierre Bourdieu a bien montré dans ses différents ouvrages les mécanismes subtils qui orientaient les personnes issues de familles modestes vers des conditions similaires, et celles issues de familles aisées vers la réussite professionnelle. C'est ce qu'il appelle la reproduction sociale. Dans un système d'égalité des chances, en théorie les compétences sont distribuées de façon égale entre les enfants issues de toutes les conditions sociales, et leur réussite est indépendante de celle de leurs parents. Tout nous montre qu'aujourd'hui ce n'est pas la situation qui prévaut. Si des systèmes de bourses permettent d'atténuer les différences de revenus au sein de l'Education nationale, il reste des différences énormes en terme de capital culturel ou de capital social.

Toute une partie de la population commence dans la vie avec des chances très réduites de succès sans être responsable de cet état de fait. L'inégalité des chances, voilà le vrai scandale. Promouvoir l'égalité, c'est donc d'abord faire des efforts pour diminuer cet écart énorme entre les chances des uns et des autres dès la naissance, plutôt que de vouloir vainement une égalité parfaite des réussites, absurde et illusoire. De nombreuses choses peuvent être faites pour progresser sur ce terrain, encore ne faut-il pas se tromper de combat.