La violence règne en Irak, et lorsque ce ne sont pas les militaires occidentaux qui sont la cible de terroristes, c'est la population civile qui est attaquée dans le cadre d'une guerre civile qui commence juste à dire son nom. Chaos est le mot qui semble le mieux décrire la situation irakienne actuelle, et fiasco est celui le plus apte à caractériser le résultat de l'intervention américaine dans ce pays. Il est d'ailleurs assez troublant de constater les similitudes qui existent entre l'Irak d'aujourd'hui et le Vietnam du début des années 70, la question de l'opportunité du maintien des troupes américaines se posant presque dans les mêmes termes. Il suffit de lire les archives en ligne du magazine Time pour s'en rendre compte. La situation semble si critique que même certains anciens faucons expriment publiquement leurs doutes sur ce qu'il s'est fait là bas. Ainsi, Richard Perle, considéré comme l'un des plus grands faucons américains ayant poussé à l'invasion de l'Irak, déclare désormais que s'il avait su ce qu'il se passerait, il aurait été contre, et met en cause l'administration Bush pour le mauvais déroulement des événements, oubliant au passage de faire sa propre autocritique.

La situation n'est plus vraiment tenable, et si les Républicains avaient réussi à confiner ce débat lors des dernières élections présidentielles, il était au coeur des dernières élections de mi-mandat. La défaite importante subie par les Républicains confirme le fait que les Américains voient désormais la guerre en Irak comme une préoccupation majeure, et on ainsi signifié à George Bush qu'ils n'entendaient plus que l'administration se contente de "garder le cap" comme elle se contentait de le faire, mais souhaitaient bien qu'une nouvelle direction soit donnée à cet engagement, afin de sortir de ce bourbier. Pour cela il faut déjà reconnaître la gravité de la situation. Or George Bush et son équipe avaient une vision adoucie, voire euphorique des événements, et se contentaient de retenir les points positifs et les améliorations tout en ayant une lecture idéologique de la situation, la même idéologie que celle qui les avait amenés à la guerre, et qui se révélait assez éloignée de la réalité. Le fait de devoir faire avec un Congrès démocrate les a forcés à prendre en compte de nouvelles vues et à prendre au sérieux les faits. Ainsi, Donald Rumsfeld, l'un des principaux artisans de cette guerre, a été contraint de démissionner. Son successeur, Robert Gates, admet ne pas croire que la guerre est actuellement en passe d'être gagnée. Et la commission bipartisane formée au printemps dernier pour fournir des solutions se retrouve au centre de la scène.

L'Iraq Study Group, présidée par le Républicain James Baker et le Démocrate Lee H. Hamilton, fournit dans son rapport à la fois un constat que des préconisations. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le constat est violent, bien éloigné de la situation optimiste décrite par l'administration Bush. En ligne de mire, l'effondrement de ce qu'il reste de l'Etat irakien, une catastrophe humanitaire, l'intervention de pays voisins, une guerre civile totale, l'utilisation de ce pays comme base pour Al Qaeda qui aurait remporté la bataille d'opinions, et évidemment une perte d'influence des Etats-Unis. Ce devrait être le pire cauchemar de l'héritage que peut donner un mauvais Président américain. Les préconisations sont elles aussi bien éloignées de ce que l'administration Bush s'est déclarée prêt à faire jusqu'à présent. Si ce sont des mesures très forte, la commission estime néanmoins que même en les adoptant il n'est pas sûr que l'on puisse se sortir d'une telle situation. En fait, bien que les raisons d'entrer en guerre ne soient pas invoquées, on peut lire en filigrane dans ce constat et ces préconisations un désaveu complet de la politique étrangère de George Bush. Dès le constat en fait, on comprend que l'optimisme affiché par celui-ci quant à la possibilité à remporter une guerre facilement avec l'appui de la population était totalement illusoire. C'était pourtant l'un des plus grands arguments à l'entrée en guerre (pour régler le problème des armes de destruction massive qui se sont révélées inexistantes), et les Républicains ont tenté de maintenir l'artifice jusqu'à présent. Ensuite, chacune des préconisations est une rupture par rapport à la politique existante, faisant comprendre que celle-ci était inappropriée.

La commission suggère ainsi une forte concertation avec tous les voisins de l'Irak pour calmer la situation géopolitique du pays. Cela change, déjà car les équipes de George Bush n'ont pas toujours été de grands adeptes de la concertation. Ensuite, la perspective de demander des faveurs à des pays hostiles comme la Syrie ou l'Iran montre à quel point on est loin de l'effet domino positif qu'était censé produire l'introduction d'une démocratie au Moyen Orient. En fait, il semble surtout que l'intervention en Irak affaiblit le camp de la démocratie plus qu'autre chose... Le processus de paix entre Israël et ses voisins doit être relancé selon le rapport, ce qui rappelle que rien n'a vraiment été tenté depuis Bill Clinton dans la région, notamment vu la lecture binaire du conflit que semble en faire George Bush. La commission Baker-Hamilton appuie fortement sur la nécessité d'engager un retrait des forces armées américaines, pour laisser l'initiative aux forces irakiennes fraîchement crées. Pour l'instant, elles sont encore minées par les divisions internes, reproduisant les conflits entre groupes religieux. C'est là la décision de Donald Rumsfeld de dissoudre l'armée irakienne existant sous Saddam Hussein qui est mise au pilori : le fait d'en recréer une ex-nihilo avec des cadres peu solides favorise des forces faibles. Le rapport insiste néanmoins sur la nécessité pour les Irakiens de se prendre en main, ce qui laisse quand même une étrange impression de laisser aux hôtes le soin de régler les difficultés que les visiteurs ont créées en s'invitant. Mais il faut rester pragmatique, et il est vrai que l'on peut douter que les Américains puissent régler quoi que ce soit avec leur armée aujourd'hui, c'est en fait plutôt contre productif. Les forces américaines ainsi libérées pourraient aussi apporter des renforts en Afghanistan, où l'intervention était bien plus légitime. Le retrait américain apparaîtrait alors comme d'autant plus rapide que le gouvernement irakien continuerait à ne pas assumer ses responsabilités en s'enfferrant dans de vains conflits ethniques et religieux.

En somme, le rapport se veut réaliste dans la mesure où les Etats-Unis se voient obligés de sortir d'une situation déplorable qu'ils ont créée, mais ils ne peuvent revenir en arrière. Il sera en particulier extrêmement difficile pour George Bush d'organiser lui-même le retrait de ses troupes en 2008, car ce serait reconnaître qu'il avait tort sur toute la ligne. Ne nous y trompons pas, l'Histoire jugera très sévèrement cette intervention, et il est bien possible que George Bush apparaisse à l'avenir comme le Président américain ayant eu les actions les plus néfastes en matière de politique étrangère de l'Histoire de son pays. Le fait que ce soit James Baker, un ancien Secrétaire d'Etat de son père, qui soit obligé de le sortir de là, fait apparaître encore plus clairement la gravité de la situation. Avec la moitié des membres de cette commission provenant de son propre camp, George Bush ne pourra plus balayer les critiques d'un revers de main. On peut même sentir une certaine nécessité morale pour George Bush à appliquer ces recommandations, si désagréables soient-elles pour lui. Ses deux dernières années à passer à la Maison Blanche seront certainement dures à vivre pour lui.