A l'issue des primaires socialistes, Ségolène Royal est désormais la candidate officielle du PS. En obtenant 60 % des voix et sa désignation au premier tour, elle montre une main mise forte sur son parti. Dominique Strauss-Kahn, candidat d'une ligne clairement sociale démocrate finit deuxième, malgré son expérience et sa stature d'homme d'Etat. Ou plutôt du fait de son expérience et de sa stature d'homme d'Etat. Et d'après le traitement que lui réserve Ségolène Royal depuis sa désignation, celle-ci n'a aucune envie de voir son ancien adversaire jouer un quelconque rôle dans sa campagne présidentielle, ne souhaitant que le marginaliser. Même sort en vue d'ailleurs pour le troisième, Laurent Fabius, tenant d'une ligne très à gauche au sein du PS. Seul ténor socialiste à trouver grâce aux yeux de Ségolène Royal : Jack Lang, qui a eu le mérite de mettre fin à sa propre candidature prématurément après avoir dit qu'il irait jusqu'au bout, de l'avoir rallié après avoir écrit un livre virulent envers la candidate, et de lui promettre une nouvelle crédibilité sur le plan international contre l'obtention d'un prestigieux ministère.

Mais alors, si Ségolène Royal n'est ni vraiment à gauche, ni sociale démocrate, qu'est-elle ? C'est bien simple : elle de votre avis. Tout son discours repose sur la "démocratie participative", qui suppose que les milieux politiques doivent se contenter d'écouter les demandes du peuple et de les exécuter, partant du principe que les citoyens sont les meilleurs experts de ce qu'ils vivent. Dans ce cas, pourquoi il y a-t-il des "personnes ressources" dans son équipe, qui jouent le même rôle que les experts traditionnels ? Ceux-ci doivent certes avoir moins d'importance au sein de cette campagne que dans les autres. Car toute la stratégie de Ségolène Royal consiste à faire croire aux gens qu'elle est comme eux et qu'elle pense la même chose qu'eux. Cela s'applique à tous ses auditoires : si la méthode connaît pour l'instant un certain succès auprès des citoyens français, elle est appliquée avec moins de bonheur à l'étranger. Ainsi, lors de sa récente visite au Proche-Orient, Ségolène Royal s'est contentée de rendre visite à tous les intervenants sans distinction de prise de position pour affirmer son accord avec eux. Justifiant les survols des forces françaises au Liban par Tsahal et demandant à la fois leur arrêt, elle n'a pas hésité à se montrer parfaitement contradictoire dans une région où la subtilité est de mise. Sa volonté d'apparaître d'accord avec tout le monde est même allée jusqu'à approuver les paroles d'un député du Hezbollah, notamment lorsque celui-ci évoquait les Etats-Unis d'après elle, alors que celui-ci venait de les comparer ainsi qu'Israël à des nazis. Il lui fallut 24 heures pour comprendre ce qu'elle avait dit.

Se trouve ainsi illustrée ce que l'on peut appeler la stratégie du miroir. Faute de fond, elle doit apparaître comme une espèce de pâte à modeler informe mais de belle couleur, dont chacun croit qu'elle deviendra ce qu'il souhaite. En se reconnaissant en elle, ses partisans ne font que voir un miroir qui reflètera toutes les images, même les plus antinomiques. Il y a ainsi une tromperie, puisque si elle reflète autant de visages que ceux qui la regardent, elle sera bien obligée de n'en garder qu'un en cas de réussite électorale, décevant tous les autres qui avaient mal cru trouver quelqu'un à leur goût. A moins évidemment qu'en gardant cette posture, la France ait le droit de cinq années de présidence informe. Mais si la stratégie est vouée en cas d'échec si l'on dépasse le seul cadre de l'élection, elle connaît indéniablement un certain succès actuellement. Si son élection n'est certainement pas souhaitable, le risque est fort néanmoins qu'elle se réalise. Cela ne doit en aucun cas sous-estimé. Et ce d'autant plus que cette stratégie lui permet également de repousser des critiques légitimes. Ainsi, ses concurrents à l'investiture socialiste ont découvert qu'ils ne pouvaient mettre en exergue le fait qu'elle soit incompétente : ceux qui se reconnaissaient en elle considéraient du même coup que c'était eux aussi qui étaient dépréciés. Il faudra donc bien démontrer que cette posture de reflet est tout à fait artificielle pour lutter efficacement contre la candidate socialiste.

Remarquons tout de même que si Ségolène Royal a tendance à être d'accord avec tout le monde, il est une catégorie qui fait exception : ses opposants politiques. Que ce soit au sein de la droite, à qui elle refuse de parler, ou bien au sein de son propre parti, comme ses concurrents à l'investiture socialiste ont découvert sa rancune tenace, conséquence du fait d'avoir osé s'opposer à elle. Dès lors, c'est bien sur la personnalité de la candidate que l'on peut se poser la question. Car si elle se montre comme l'apôtre de la démocratie participative, elle refuse obstinément les critiques et les objections, aussi légitimes et constructives soient-elles. Ségolène Royal ne sait pas où elle va, mais elle y va tête baissée. Et si sa stratégie du miroir peut se montrer efficace électoralement parlant, on ne peut que la craindre pour l'avenir de la France.