Pendant la dernière campagne présidentielle française, François Bayrou a voulu se désolidariser de la droite, l'alliée traditionnel du centre. Son but étant de rester le leader de son propre camp, il ne voulait pas devenir l'allié de la gauche pour autant. De ce fait, il s'excluait de lui même de toute majorité. Pour sortir de cette situation inconfortable, il énonça une stratégie audacieuse pour avoir une majorité dont il serait le chef : à ce moment-là, seuls ses plus ardents supporters le soutenaient, mais une fois qu'il serait élu, toutes les personnes de bonne volonté accepteraient de travailler avec lui pour changer les choses en France dans une sorte d'unité nationale, hors de la tension entre la droite et la gauche qui serait l'une des causes des difficultés du pays. A l'époque, ce scénario apparaissait comme hautement hypothétique. Mais lorsque, dans l'émission "J'ai une question à vous poser", Nicolas Sarkozy fut interrogé sur ce thème, il répondit qu'il menait alors une campagne où il exposait clairement ses idées et ses plans pour la France, mais qu'une fois élu, il aurait à coeur de rassembler au delà des frontières politiques pour mener ses réformes. C'est ce qu'il appelait l'ouverture.

Et comme il l'avait annoncé, il a réussi à augmenter le nombre de ses alliés alors qu'il se positionnait pourtant comme clairement à droite. Si un bon nombre des personnes qui vinrent à lui par l'ouverture le firent après ses victoires électorales, certaines l'avaient également rejoint pendant sa campagne. Ainsi, le centriste André Santini n'avait pas hésité à annoncer son soutien en sa faveur alors que François Bayrou grimpait spectaculairement dans les sondages. D'une manière générale, l'ouverture apparaît comme une manoeuvre politique redoutée, alors qu'elle permet d'ouvrir le champ politique. Ceux qui décident de travailler avec la droite alors qu'ils en étaient en théorie interdits l'ont fait en général par conviction, justement en tant que personnes de bonne volonté souhaitant sincèrement changer les choses en France. Et pourtant, François Bayrou ne cesse de persifler contre ceux qui l'ont quitté du fait de l'ouverture, alors qu'il attendait clairement que d'autres fassent la même sorte de mouvement. Pour lui, le véritable problème est qu'il ne fut pas fait en sa faveur.

Ceux qui ont accepté les propositions de l'ouverture l'ont souvent fait à la suite d'une analyse stratégique. Est-ce dans l'opposition que l'on a le plus de chances d'apporter les solutions que l'on souhaite voir appliquer ? Quelqu'un comme Jean-Marie Bockel avait de toutes façons beaucoup de mal à se faire entendre dans son propre parti. Gilles de Robien ne voulait plus être soumis à la stratégie improductive du cavalier seul de François Bayrou à l'UDF. Evidemment, parfois, le mouvement prend des airs de trahison. L'essai d'Eric Besson contre Ségolène Royal ne serait pas autant apparu comme une basse manoeuvre si celui-ci avait refusé d'entrer au gouvernement de François Fillon par la suite. Quant à Hervé Morin, il fut particulièrement étonnant de le voir quitter François Bayrou, alors qu'avec Marielle de Sarnez, il ne s'était illustré que comme un inlassable défenseur du président de l'UDF. Son changement de cap entre les deux tours ne passe pas comme autre chose que pour une inquiétude pour son avenir personnel. Il est vrai que les députés UDF avaient peu de chance de se faire réélire sans alliance avec la droite après la défaite de François Bayrou. Mais dans ce cas, cela pose la question de la conviction avec laquelle ils l'ont suivi pendant la campagne.

Si l'ouverture gêne l'opposition, ce n'est qu'une de ses conséquences, mais ce ne pouvait être son seul but. Au moins parce qu'en terme de dégât collatéral, elle gêne presque autant les politiciens de droite, bien peu ravis de voir ceux qui n'avaient pas fait campagne pour le gagnant, contrairement à eux, être "récompensés" à leur place. Le problème fondamental dans cette histoire est de voir les portefeuilles ministériels comme une récompense, alors qu'ils devraient être vus par tous comme une charge lourde de responsabilités. De plus, les différents camps politiques devraient commencer par ne plus considérer que leurs adversaires représentent le mal absolu, des personnes avec une interminable guerre est en cours. Ce n'est pas forcément faire l'unité nationale que de penser ainsi, mais c'est au moins avoir une vision plus saine du débat politique.