L'AFP s'émeut bruyamment que Nicolas Sarkozy ait osé la critiquer lors d'une réception des députés de la majorité à l'Élysée. L'objet de la polémique est la non diffusion par l'agence d'un communiqué de l'UMP concernant la condamnation de Ségolène Royal. L'opposition a aussitôt rebondi sur le sujet, s'en prenant aux atteintes à la liberté de la presse qui seraient selon elle commise par le Président et le gouvernement. Le couplet de la démocratie en danger a été une fois de plus joué en réaction totalement disproportionnée avec l'événement initial. La liberté de la presse est une conséquence directe de la liberté d'expression. Chaque journal, chaque média, chaque agence de presse peut librement publier les nouvelles et les opinions qui lui conviennent. Mais si la presse bénéficie de la liberté d'expression, pourquoi en serait-il autrement de la part des hommes politiques ? Un responsable de la majorité n'aurait ainsi plus le droit de dire ce qu'il pense de la presse, à moins d'être immédiatement accusé de pressions politiques ? En l'occurrence, il ne s'agit pas d'un simple responsable de la majorité, mais du Président de la République. Si la charge est importante, l'élection ne lui a pas ôté le droit de s'exprimer comme il l'entend. De la même façon que l'AFP est libre de sélectionner les informations qu'elle diffuse en fonction de sa ligne politique, les personnalités politiques peuvent librement répondre à la presse.

La liberté de la presse n'est pas menacée. Ce constat est facile à faire, il suffit de regarder la production française. Il n'y a aucune disposition juridique qui empêche la création d'un nouveau journal, en format papier ou en ligne, et les titres se créent. La diversité des opinions est grande dans la presse française, et ceux qui croient que le pouvoir politique étouffe le pouvoir journalistique oublie tout simplement de regarder autour d'eux le nombre impressionnant de publications hostiles au gouvernement en place. Un hebdomadaire comme Marianne peut titrer autant qu'il veut sur la soumission des médias, son existence même est une preuve de la fausseté de cette thèse.

Il y a pourtant bien quelques mesures qui font dépendre les journaux et les journalistes de l'État. Il s'agit en premier lieu des aides à la presse, qui regroupent toute une gamme de soutiens directs (flux financiers) et indirects (tarifs privilégiés, TVA réduite) à des journaux. Ce genre de mécanisme n'est pas sain, et représente une menace sur l'indépendance éditoriale rarement évoquée, contrairement aux questions de possession du capitale, dans la mesure où cela peut être un mécanisme de pression direct du gouvernement envers les journaux.

Un autre sujet est tabou dans la presse française, et il s'agit là d'une omerta maintenue dans le but de préserver des intérêts catégoriels. Le statut des journalistes leur accordes des privilèges fiscaux qui ne sont plus justifiés depuis longtemps. Un journaliste peut ainsi déduire 7 650 euros de ses revenus imposable dans le calcul de ses impôts, du seul fait qu'il exerce cette profession. Voilà une niche fiscale que le gouvernement serait bien inspiré de supprimer, au nom de l'équité entre les Français. Alain Juppé, Premier ministre en 1996, avait bien tenté d'y mettre fin de façon progressive (sur cinq années). Il avait alors du faire face à un conflit mené par l'ensemble de la profession pour la défense de ses privilèges, invoquant la liberté de la presse pour conserver un avantage acquis injustifié et coûteux pour la collectivité. A l'époque, un bon nombre de journalistes étaient même fiers de menacer de boycott médiatique les députés se prononçant pour une telle mesure. Cela démontrait la haute opinion de la mission d'information que ces personnes avaient.

Aujourd'hui, rien n'a changé. La presse est bien menacée, non pas par le pouvoir politique qui restera encore pour longtemps "interdit" de dire quoi que ce soit sur les journalistes, mais par une situation économique difficile. Pour autant, les titres de presse ne se remettent pas en cause, refusant ainsi de comprendre ce qui leur a valu la désaffection des lecteurs. Ils n'osent pas non plus remettre en cause le monopole du syndicat du livre CGT, qui grève le modèle économique de toutes les entreprises du secteur. A évoquer la liberté de la presse pour parler de choses où elle n'est pas en jeu, les journalistes semblent se tromper de priorité.