L'UMP est entrée en grandes négociations pour trouver le nombre suffisant de parlementaires pour voter la réforme institutionnelle voulue par le Président de la République, à la suite du rapport Balladur à ce sujet. Un nombre non négligeables de députés de la majorité ayant de nombreux désaccords avec le texte proposé ne voteront apparemment pas le texte, et l'UMP étant moins en position de force que lors de la précédente législature, la voilà obligée de tenter un arrangement avec une partie des députés de gauche. Cela montre déjà l'ampleur du débat (politique, non citoyen) autour de ce sujet, et présage d'ores et déjà d'un échec : l'absence de consensus dans la réforme des institutions, ce qui est fâcheux pour les réformes importantes non soumises à référendum. Que trouve-t-on alors dans cette réforme ? Eh bien un peu de tout.

On peut commencer avec l'autorisation faite au Président de la République de s'exprimer devant les assemblées. La mesure est symbolique, certains diraient gadget, elle est surtout inspirée par les discours sur l'état de l'Union faits annuellement par les Présidents américains. La limitation du droit de grâce est une bonne chose, même s'il aurait été plus décisif de le supprimer complètement. De même, le contrôle du parlement sur les nominations va dans le sens d'une plus grande démocratie. L'interdiction du cumul des fonctions de membre du gouvernement avec un poste de maire de commune de plus de 20 000 habitants ou de conseil général ou régional est une mesure assez faible. En limitant a minima le cumul des mandats, un domaine où Nicolas Sarkozy n'a pas montré l'exemple, on oublie de supprimer le cumul des mandats des parlementaires, alors que c'est tout aussi nécessaire.

La quasi abolition du 49-3 n'explique pas comment doivent être gérés les amendements "copiés collés", déposés par dizaines de milliers lorsque l'opposition manque d'imagination dans le débat. La refonte du Conseil Supérieur de la Magistrature est plutôt trouble, ne répondant pas à la question de la source de la légitimité du pouvoir judiciaire. Le contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois ne se justifie pas, il existe d'ores et déjà un contrôle possible par le Conseil Constitutionnel lors de la création de la loi, cette nouvelle possibilité ne ferait qu'augmenter les possibilités de manœuvres politiques. Chaque loi serait soumise à une épée de Damoclès, au gré des contingences politiques. Bon nombres des autres dispositions visent à renforcer les pouvoirs du parlement. Mais la question la plus importante est de savoir quels changements de pratiques politiques suivront ces changements institutionnels.

L'examen de la réforme institutionnelle a commencé à l'Assemblée, et les députés ont visiblement bien compris le caractère "fourre tout" de la réforme, puisqu'ils y casent au passage la reconnaissance des langues régionales, voire peut être le respect de la parité professionnelle, comme si un tel sujet avait à se retrouver dans la Constitution. Il y a déjà d'innombrables lois contre la discrimination fondée sur le sexe dans la vie professionnelle, mais l'adoption de tels amendements doivent donner aux députés l'impression d'agir. Mais pendant ce temps-là, les médias ignorent les deux points les plus graves de cette réforme :

Le premier est le retour automatique à l'Assemblée des membres du gouvernements venant d'en être virés, s'ils étaient députés à l'origine. Voilà bien une loi taillée sur mesure pour les politiciens professionnels soucieux de leur intérêt personnel. Cela leur permet de limiter au maximum leur prise de risque lorsqu'ils ont le plaisir de s'embarquer pour une petite aventure ministérielle, vu qu'ils auront toujours un mandat au chaud à leur retour, cette fois, sans risquer une élection partielle. Que se passe-t-il pour celui qui vient de la société civile ? Il n'est pas interdit de passer du statut de simple employé à celui de ministre, mais pour cela, il faut perdre son emploi sans avoir la garantie de le retrouver à la sortie. Le système politique actuel privilégie déjà outrageusement les fonctionnaires et les professions libérales, que l'on retrouve en très grande majorité aux assemblées. Alors que la population active est constituée majoritairement d'employés du secteur privé, tout est fait pour les éloigner des responsabilités politiques. Sur ce point-là, le personnel politique donne malheureusement l'impression de se préoccuper en priorité de lui-même.

L'autre grave problème de cette réforme est encore plus scandaleux. Il vise à supprimer le référendum automatique à propos de l'entrée de nouveaux membres dans l'Union Européenne, qui avait été adopté il y a moins de cinq ans par la même majorité. De ce fait, l'entrée de la Turquie sera grandement facilitée, malgré les promesses présidentielles de Nicolas Sarkozy. La conséquence directe sera tout simplement l'anéantissement de la possibilité d'une Europe politique, et l'évanouissement de cinquante ans de construction européenne. Faire perdurer les négotiations avec la Turquie est de toute façon une faute manifeste en cours. Faciliter cette adhésion permettra surtout à l'Europe de creuser sa propre tombe plus rapidement. Les reculs à ce sujet de la part de Nicolas Sarkozy et de l'UMP est non seulement un non respect des électeurs, mais aussi une décision lourde de conséquences pour l'avenir.

A ce titre, on peut se demander s'il était vraiment nécessaire d'entreprendre une réforme institutionnelle si vaste et si disparate, laissant passer dans ses recoins de vraies mauvaises idées. N'y avait-il pas plus urgent, parmi les textes à adopter ? Il vaut mieux avoir des institutions stables que de les "tripatouiller" à chaque législature, en fonction des marchandages politiques. Mais il n'est pas trop tard, et la France pourrait bénéficier d'un rejet de cette réforme.