La remise en cause de la religion par certaines figures des Lumières s'est transformé en un athéisme inédit à partir de la fin du XVIIIème siècle. Le refus de Dieu, de plus en plus souvent exprimé, et plus généralement le développement de l'agnosticisme ont bousculé les conventions sociales pourtant précédemment fermement établies. Des penseurs tels que John Locke pensaient auparavant que s'il fallait être tolérant et laisser toutes les religions s'exprimer, seul l'athéisme devait être refusé et combattu, en considérant que ceux qui ne croient en aucun dieu n'ont pas de référence morale. Dès lors, pourquoi accepter les règles de la vie en société lorsqu'aucune directive éminemment supérieure ne s'impose, n'est acceptée au fond de soi ? Celui qui ne croit en rien du tout n'accorde plus d'importance à rien, et se retrouve donc sans limite, sans interdit. Il peut représenter une menace potentielle pour la société. Il arrive parfois que l'on entende parler de ce genre de personnes aux actualités, dans le pire des cas lorsque des "déséquilibrés" armés commettent des massacres dans des écoles ou de quelconques lieux publics. Mais heureusement, de tels drames restent isolés.

Alors si Dieu est si fortement remis en cause, pourquoi la société ne s'est pas totalement transformée en une innommable anarchie ? Il s'avère que Dieu peut rester une énigme, une idée non contraignante, sans que cela empêche les hommes de croire en certaines valeurs importantes, des valeurs auxquelles ils adhèrent tellement qu'elle leur permet une vie en société apaisée en grande partie. On peut considérer que ce qui lie l'individu aux règles de la vie en société c'est la morale. Sans être forcément très érudit en philosophie, il peut être intéressant de retrouver quelques concepts pensés par Emmanuel Kant pour continuer cette réflexion. Celui-ci définit un impératif catégorique qui s'impose à tout homme : "Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen." Ici, Kant énonce le sentiment qui continue d'animer plus ou moins consciemment la plupart des gens, avec ou sans Dieu : l'humanité est la première priorité. Kant n'est absolument pas athée, il considère même l'existence de Dieu et de l'âme comme des postulats de la morale dans sa Critique de la raison pratique. Pourtant, l'humanisme qu'il défend en fin de compte peut s'en passer, à condition de croire en l'homme, et de se sentir sous l'inspection permanente de la morale.

En incitant chaque personne à suivre une conduite qui puisse être universalisable, Kant rappelle d'une certaine façon une formule qui est utilisée à juste titre dans l'éducation des plus jeunes : "Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse à toi même". Il élève seulement à l'humanité la référence finale. Kant pose comme postulat la liberté, car si l'homme n'avait pas de libre arbitre, il ne serait que le pantin des événements, sans responsabilité. Mais cette liberté d'action ne veut pas dire que l'homme doit faire tout ce qu'il est en mesure de faire. Il doit se fixer lui-même ses propres limites, pour que son action ne nuise pas à celle de son prochain, s'il considère l'humanité comme fin en soi.

On peut donc en déduire que c'est pour cela que chacun accepte de renoncer à une partie de sa liberté en se soumettant aux lois. Dans le cadre d'une démocratie, cette renonciation est d'ailleurs à relativiser dans la mesure où la volonté de chaque citoyen s'exprime dans le processus qui permet la conception de ces lois. A la base de la vie en société, la morale s'impose donc à chacun. Elle doit rester le principe fondateur.