Les actionnaires de Gaz de France et de Suez viennent d'approuver la fusion entre les deux entreprises. Le but annoncé est de créer un géant mondial de l'énergie. Mais pourquoi faire ? A l'origine, cette fusion semblait être improvisée par Dominique de Villepin, alors Premier ministre, en faisant jouer à Gaz de France le rôle de chevalier blanc venant secourir Suez, en proie à une OPA inamicale du groupe italien Enel. Aujourd'hui, le nouveau prétexte est de créer le groupe le plus gros possible. Après avoir séparé Gaz de France et EDF, la pertinence de la taille d'une entreprise énergétique semble être variable. Et c'est surtout la question de la privatisation de Gaz de France qui fait débat. Lorsqu'il était ministre de l'économie, Nicolas Sarkozy s'était engagé à ce que l'Etat ne diminue pas sa participation à moins de 70 % du capital, après une première ouverture du capital. En toute logique, il n'aurait donc pas du laisser passer cette fusion qui, de facto, baisse le niveau de l'Etat à 35 % dans le capital du nouvel ensemble, maintenant qu'il est Président de la République. Et pourtant, il a donné son accord, marquant une renonciation flagrante à un engagement politique. C'est, en soi, déplorable.

C'est d'autant plus troublant que cela concerne un secteur actuellement sensible, celui de l'énergie, où les Français ne seraient pas contre un peu de volontarisme pour amoindrir un fardeau au poids croissant. Les prix du gaz ne cessent d'augmenter, la faute à une corrélation injustifiée avec les prix du pétrole, et les consommateurs français souffrent à cause de l'importance que prend ce poste budgétaire. L'énergie est l'un responsable de la baisse du pouvoir d'achat, et s'il n'est pas réaliste de sur-taxer les profits de Total, au moins pourrait-on faire en sorte que Gaz de France, entreprise sur laquelle la France a un levier, limite l'importance des hausses de tarifs. Et la première annonce faite à la suite de la constitution du groupe fusionné est le versement d'un dividende extraordinaire, laissant le sentiment fort que toutes ces hausses de prix sont en fait destinées à prélever l'argent des consommateurs au profit des actionnaires. Cette manœuvre apporte donc de l'eau au moulin de tous ceux qui dénoncent les méfaits du capitalisme, et c'était loin d'être souhaitable.

En somme, le pire c'est que les consommateurs n'ont pas le choix. Gaz de France, aujourd'hui fusionné avec Suez, garde largement le monopole de la distribution du gaz, créant ainsi un monopole privé sur un service essentiel. S'il est encore possible d'argumenter sur le mérite d'entreprises publiques pour assurer le service public dans un monopole, à condition que le service soit effectué avec efficacité, il est bien difficile de prôner la création d'un monopole privé dans un secteur aussi crucial. Et si l'on ajoute à cela le manquement à la parole politique, le déshonneur est complet.