vendredi 24 octobre 2008
La grande complainte des magistrats
Par xerbias, vendredi 24 octobre 2008 à 15:45 :: General
Le 23 octobre 2008 aura été la grande journée de protestations des magistrats, invités par leurs syndicats à exprimer toute leur exaspération devant leurs tribunaux respectifs. Dans l'esprit collectif des Français, l'événement n'en est pas tellement un : ils sont largement habitués à voir tous les corps de métier et intérêts divers à s'exprimer de façon bruyante et régulière. Le corps des magistrats est plutôt réduit, ils n'allaient donc pas organiser la grande manifestation traditionnelle entre Nation et République qui fait la joie des riverains. En matière de visibilité, ils se sont largement refaits via une initiative organisée par le blog de l'avocat Eolas, où les magistrats ont eu la possibilité d'exprimer leur ressenti. Cela a donné lieu à des dizaines de billets. Le lecteur a pu constater la variété des moyens d'expressions, allant des récits personnels aux poèmes, en passant par la tribune politique. Mais l'on peut dégager de grandes tendances de fond sur les motifs de cette révolte.
Le premier de ces motifs est l'impression de mal faire son métier, à cause du manque de moyens. L'exigence de productivité attendue des magistrats et le manque de temps et d'argent pousseraient à la faute. Viennent alors le constat selon lequel la Justice française est maltraitée budgétairement, que les prisons sont indignes et surpeuplées, la vie des magistrats presque impossible. Ce constat n'est pas nouveau, loin de là . Or cela fait des années que les gouvernements successifs ont déclaré que la Justice était leur première priorité budgétaire. Et lorsque l'on prend la peine d'aller vérifier ces affirmations, on se rend compte que c'est tout simplement vrai : le budget du ministère de la Justice a augmenté de 61 % entre 2000 et le projet de budget pour 2009. Cela représente une hausse annuelle moyenne de plus de 5,3 %. Et cela, alors que l'heure est aux réductions de dépenses, et que les finances françaises restent dans un Etat calamiteux. En conséquence, de nouvelles prisons ouvrent chaque année, et le ministère de la Justice voit des créations nettes de postes, alors que les autres ministères voient leurs effectifs diminuer. Evidemment, tous les problèmes du système judiciaire ne sont pas encore réglés, mais les magistrats semblent agir comme si rien ne se passait. Peut être il y a-t-il un problème dans les méthodes de travail, pour que ces moyens supplémentaires ne débouchent sur rien...
Les magistrats se révoltent également contre l'idée de leur responsabilité dans leurs décisions. Ce qui découle directement du premier problème : si une décision est mauvaise, c'est de la faute au manque de moyens. Pourtant, s'il n'est pas question de systématiser les poursuites lorsqu'une décision a des répercussions fâcheuses, il est troublant de constater que les magistrats français ne sont quasiment jamais inquiétés par leur hiérarchie en comparaison avec leurs équivalents européens. Qui eux disposent de plus de moyens. En fait, c'est surtout un sentiment fort qui s'exprime envers le pouvoir politique, en particulier envers Rachida Dati.
Il serait difficile d'affirmer que celle-ci n'a pris que de bonnes décisions depuis qu'elle est arrivée Place Vendôme. Les nouvelles consignes contre le suicide en prison ont une utilité assez faible, par exemple. Rachida Dati est également magistrate à l'origine, mais elle est violemment attaquée à cause de son mode de vie. A l'instar de Claude Allègre en son temps, son tort est probablement de ne pas cajoler avec suffisamment de tendresse les fonctionnaires qui dépendent d'elle, et dont elle faisait partie autrefois. Alors que les précédents Gardes des sceaux se faisaient l'avocat des magistrats auprès de la société, elle s'est faite avocate de la société auprès des magistrats. Et il y a bien une forte incompréhension entre une grande partie des citoyens et le système judiciaire. Car l'insécurité n'est pas qu'un sentiment, c'est aussi une réalité.
Les efforts de la police pour combattre la délinquance et la criminalité ont été parfois amoindris par un phénomène curieux : celui de voir repartir dans la nature les délinquants alors qu'ils venaient d'être arrêtés. Afin d'être sûr de punir les récidivistes, ceux qui nuisent de façon répétée à la société et qui ne sont plus au stade auquel la clémence est de mise, le Parlement a ainsi voté la loi sur les peines planchers, visant à donner une limite minimale de peine au cas où la récidive était constituée. Cette loi est le symbole même des directions que ne comprennent pas les magistrats. Ils estiment qu'elle va contre leur liberté de juger, contre leur indépendance. Et dans les faits, elle les gêne effectivement. Dans leurs témoignages, on comprend le cœur du problème. A travers de nombreux exemples concrets, les délinquants sont dépeints comme avant tout des victimes de la société, qu'il faut aider en dernier ressort, puisque personne d'autre n'a réussi à le faire jusqu'à présent. Le cas de "Monsieur F." nous est ainsi dépeint, celui d'un homme qui s'est endetté de façon déraisonnable, ce qui justifierait un abus de bien social dans le cadre de son travail, puis le fait de voler de l'argent à une dame, victime anonyme qui ne fait pas l'objet de plus de considérations, devant un distributeur de billets. L'homme, en situation de récidive, risque un an de prison à cause des peines planchers, raconte le magistrat avec pour objectif de susciter l'émotion. Mais puisque le risque pénal était clair, pourquoi avoir recommencé ?
Le délinquant est ainsi souvent décrit comme celui qui n'a pas le choix, alors que ce choix existe précisément. Les magistrats ne veulent pas faire partie de la société qui oppresse, mais la société qui est victime a aussi le droit d'être considérée. Bien des gens vivent de façon difficile sans pour autant basculer du côté de la délinquance, que leur dire lorsqu'ils constatent que celui qui choisit la voie facile ne prend pas un grand risque ? Surtout que ce sont eux, les plus pauvres, qui sont les premières victimes de la délinquance. Les victimes de la délinquance savent qu'il existe des coupables, mais on leur présente une société où rien n'est jamais de la faute de personne. A part, peut-être, celle du gouvernement. Qui ne fait pourtant qu'être le porte voix du reste de la société... Les magistrats ont certainement beaucoup de mérite dans leur tâche quotidienne, mais les voir se révolter parce qu'il leur est demandé d'appliquer la loi laisse une étrange impression.
Le premier de ces motifs est l'impression de mal faire son métier, à cause du manque de moyens. L'exigence de productivité attendue des magistrats et le manque de temps et d'argent pousseraient à la faute. Viennent alors le constat selon lequel la Justice française est maltraitée budgétairement, que les prisons sont indignes et surpeuplées, la vie des magistrats presque impossible. Ce constat n'est pas nouveau, loin de là . Or cela fait des années que les gouvernements successifs ont déclaré que la Justice était leur première priorité budgétaire. Et lorsque l'on prend la peine d'aller vérifier ces affirmations, on se rend compte que c'est tout simplement vrai : le budget du ministère de la Justice a augmenté de 61 % entre 2000 et le projet de budget pour 2009. Cela représente une hausse annuelle moyenne de plus de 5,3 %. Et cela, alors que l'heure est aux réductions de dépenses, et que les finances françaises restent dans un Etat calamiteux. En conséquence, de nouvelles prisons ouvrent chaque année, et le ministère de la Justice voit des créations nettes de postes, alors que les autres ministères voient leurs effectifs diminuer. Evidemment, tous les problèmes du système judiciaire ne sont pas encore réglés, mais les magistrats semblent agir comme si rien ne se passait. Peut être il y a-t-il un problème dans les méthodes de travail, pour que ces moyens supplémentaires ne débouchent sur rien...
Les magistrats se révoltent également contre l'idée de leur responsabilité dans leurs décisions. Ce qui découle directement du premier problème : si une décision est mauvaise, c'est de la faute au manque de moyens. Pourtant, s'il n'est pas question de systématiser les poursuites lorsqu'une décision a des répercussions fâcheuses, il est troublant de constater que les magistrats français ne sont quasiment jamais inquiétés par leur hiérarchie en comparaison avec leurs équivalents européens. Qui eux disposent de plus de moyens. En fait, c'est surtout un sentiment fort qui s'exprime envers le pouvoir politique, en particulier envers Rachida Dati.
Il serait difficile d'affirmer que celle-ci n'a pris que de bonnes décisions depuis qu'elle est arrivée Place Vendôme. Les nouvelles consignes contre le suicide en prison ont une utilité assez faible, par exemple. Rachida Dati est également magistrate à l'origine, mais elle est violemment attaquée à cause de son mode de vie. A l'instar de Claude Allègre en son temps, son tort est probablement de ne pas cajoler avec suffisamment de tendresse les fonctionnaires qui dépendent d'elle, et dont elle faisait partie autrefois. Alors que les précédents Gardes des sceaux se faisaient l'avocat des magistrats auprès de la société, elle s'est faite avocate de la société auprès des magistrats. Et il y a bien une forte incompréhension entre une grande partie des citoyens et le système judiciaire. Car l'insécurité n'est pas qu'un sentiment, c'est aussi une réalité.
Les efforts de la police pour combattre la délinquance et la criminalité ont été parfois amoindris par un phénomène curieux : celui de voir repartir dans la nature les délinquants alors qu'ils venaient d'être arrêtés. Afin d'être sûr de punir les récidivistes, ceux qui nuisent de façon répétée à la société et qui ne sont plus au stade auquel la clémence est de mise, le Parlement a ainsi voté la loi sur les peines planchers, visant à donner une limite minimale de peine au cas où la récidive était constituée. Cette loi est le symbole même des directions que ne comprennent pas les magistrats. Ils estiment qu'elle va contre leur liberté de juger, contre leur indépendance. Et dans les faits, elle les gêne effectivement. Dans leurs témoignages, on comprend le cœur du problème. A travers de nombreux exemples concrets, les délinquants sont dépeints comme avant tout des victimes de la société, qu'il faut aider en dernier ressort, puisque personne d'autre n'a réussi à le faire jusqu'à présent. Le cas de "Monsieur F." nous est ainsi dépeint, celui d'un homme qui s'est endetté de façon déraisonnable, ce qui justifierait un abus de bien social dans le cadre de son travail, puis le fait de voler de l'argent à une dame, victime anonyme qui ne fait pas l'objet de plus de considérations, devant un distributeur de billets. L'homme, en situation de récidive, risque un an de prison à cause des peines planchers, raconte le magistrat avec pour objectif de susciter l'émotion. Mais puisque le risque pénal était clair, pourquoi avoir recommencé ?
Le délinquant est ainsi souvent décrit comme celui qui n'a pas le choix, alors que ce choix existe précisément. Les magistrats ne veulent pas faire partie de la société qui oppresse, mais la société qui est victime a aussi le droit d'être considérée. Bien des gens vivent de façon difficile sans pour autant basculer du côté de la délinquance, que leur dire lorsqu'ils constatent que celui qui choisit la voie facile ne prend pas un grand risque ? Surtout que ce sont eux, les plus pauvres, qui sont les premières victimes de la délinquance. Les victimes de la délinquance savent qu'il existe des coupables, mais on leur présente une société où rien n'est jamais de la faute de personne. A part, peut-être, celle du gouvernement. Qui ne fait pourtant qu'être le porte voix du reste de la société... Les magistrats ont certainement beaucoup de mérite dans leur tâche quotidienne, mais les voir se révolter parce qu'il leur est demandé d'appliquer la loi laisse une étrange impression.