Actuellement l'un des plus gros problèmes de l'Union Européenne est le décalage entre les institutions et les citoyens : les premières doivent servir les seconds, mais elle a besoin pour cela de pouvoirs. Ces pouvoirs doivent nécessairement être délégués par les différents Etat, et donc, in fine, par les citoyens de chaque pays. Que se passe-t-il alors, quand les habitants de l'Europe n'estiment plus les institutions européennes légitimes pour agir en leur nom, quand ils ne leur accordent pas leur soutien ? L'action politique est à ce moment considérablement ralentie, rencontrant d'innombrables obstacles à chaque étape. L'Union Européenne devient alors une organisation éloignée, aux motivations obscures, qui en se voulant au service de tous, n'obtient plus la reconnaissance de personne. Le fait est que pour les problèmes dont le niveau de résolution le plus pertinent est l'Europe, il doit y a avoir une prise de conscience d'une communauté d'intérêts entre les différents peuples. Mais cet intérêt général européen n'est pas présent dans les esprits, à l'heure actuelle.

Si l'intervention de l'Etat est mieux acceptée lorsqu'elle est effectuée par un gouvernement nationale, c'est parce que la population a conscience de l'intérêt supérieur du pays dans son ensemble. C'est bien évidemment une conséquence de la notion d'Etat nation, qui, à partir du XIXème siècle, est devenue dominante en Europe. Auparavant, l'horizon était moins clair. A l'époque féodale, nombreux étaient ceux qui restaient attachés aux zones proches de leur villages d'origine, ignorant largement ce qu'il y avait au-delà. Ceux qui avaient des métiers plus mobiles se déplaçaient à travers les régions. Les particularités régionales comme les langues ou patois prédominaient. Seules les personnes les plus hautes dans la hiérarchie sociale concevaient avec aise les relations entre royaumes, parfois entre grosses féodalités comme celles formant le Saint Empire Germanique. En France, même si la monarchie absolue avait considérablement renforcé l'unité de la France en tant que royaume, il fallut attendre la révolution pour que l'idée de nation française prenne toute son ampleur. L'Etat jacobin s'est alors appliqué à réduire l'influence des particularismes régionaux pour fonder une nation unie. Certaines identités locales subsistent largement, toutefois.

Un tel effort de centralisation ne s'est pas forcément vu dans tous les pays. Le fédéralisme est aujourd'hui un système efficace dans de nombreux pays qui n'en sont pas moins considérés comme des Etats-nation. Le peuple des Etats-Unis par exemple forment bien une nation, bien qu'il peut y avoir des différences notables entre les modes de vie d'habitants de Californie du Sud et du Wyoming. Certains événements ont formé des étapes fondatrices à la nation américaine. A l'époque des colonies, cette union n'était pas forcément évidente. Mais la révolte commune contre la Grande Bretagne a forgé un lien solide entre les différents Etats. La guerre de Sécession a achevé en fin de compte définitivement l'édification de cette nation américaine. Dans d'autres régions du monde, la nation reste encore une force politique puissante autour de laquelle continuent de se former des Etats.

C'est donc autour de l'idée de nation que s'assemblent les peuples désirant de prendre en main leur destinée. Alors faut-il penser qu'il doit y avoir une nation européenne pour qu'une politique menée au niveau de l'Europe ait une chance de réussir et d'être soutenue par les citoyens ? Cette fois-ci, il ne serait être question d'un conflit avec un ennemi contre lequel faire l'unité, ou tout du moins, pas un conflit armé. Mais face à certains défis, comme ceux économiques actuels, cela pourrait être possible. Une nation européenne pourrait être capable de dire "Nous, peuples d'Europe", en regard du "Nous, le peuple des Etats-Unis" de la déclaration d'indépendance américaine. Il serait illusoire et même dangereux de vouloir briser de force les différences entre les peuples des différents pays d'Europe. Seule la prise de conscience d'un intérêt supérieur commun est nécessaire.

L'idée de nation européenne a déjà été évoquée par le passé, mais la plupart du temps par des groupuscules à l'influence limitée. Cela ne peut difficilement être le résultat d'une construction purement logique, vu qu'elle serait en même temps artificiel. Une nation ne se construit pas autour d'un simple plan de communication, ou aussi facilement que selon les plans d'apprentis sorciers. Une nation se construit d'abord autour de sentiments, et l'Union Européenne est justement à la base un lieu de rationalité uniquement. Face à une technocratie puissante, l'Europe a besoin de sentiments humains pour se donner l'élan dont elle a besoin. Aujourd'hui, ce n'est pas du tout le cas. Le chemin pour que cela le soit un jour n'est pas évident non plus. Mais l'idée est digne d'intérêts...