La perspective de modifier le Traité de Lisbonne si peu de temps après qu'il ait enfin été définitivement adopté ne fait plaisir à personne. Foudroyée par le rejet du Traité Constitutionnel Européen, l'Union Européenne avait péniblement du trouver une issue de secours pour se donner des institutions. L'adoption du Traité de Lisbonne lui-même fut loin d'être une partie de plaisir, entre le référendum négatif irlandais, le risque de rejet par les tories britanniques, et la mauvaise volonté de la Pologne et de la République Tchèque. Le Traité de Lisbonne avait au moins comme mérite de donner à l'Union Européenne des institutions adéquates pour pouvoir fonctionner longtemps sans gros problème. Et de fait, il n'est pas remis en cause dans ses principes ni ses modalités. Mais alors, qu'est-ce qui pousse les dirigeants européens à rouvrir la boîte de Pandore ?

La crise de la dette publique grecque est passée par là. Le nouveau gouvernement grec a découvert que les comptes publics du pays étaient faux, la Grèce vivant bien plus au dessus de ses moyens qu'elle ne le laissait croire. Avec ses comptes dégradés et son énorme dette, elle peinât à trouver de l'argent pour continuer à couvrir ses déficits budgétaires béants. Evidemment, tout cela montrait que la Grèce était bien loin de respecter les critères de Maastricht. La conséquence directe fut que l'euro fut attaqué, étant la monnaie de la Grèce, avec des conséquences désagréables pour l'ensemble des pays de la zone euro. Il a fallu trouver un moyen de rassurer les marchés, les convaincre que leurs titres grecs seraient bien payés (les créditeurs étant souvent d'ailleurs des banques de la zone euro justement, une défaillance pouvant se transmettre à l'ensemble de l'économie). Les Etats européens ont, comme certains l'avaient fait individuellement pour le secteur bancaire au début de la crise, garanti la dette grecque en créant un fonds spécial, le Fonds Européen de Stabilisation Financière (FESF).

Il s'agit en fait d'un mini FMI, à l'échelle européenne. Ce fonds emprunte sur les marchés avec la garantie AAA des Etats membres, ce qui lui permet d'obtenir les taux d'emprunt les plus faibles. Il prête alors cet argent au pays qui risque de faire défaut à ses créditeurs. En contrepartie de ce privilège, il peut forcer le pays concerné à faire des réformes drastiques pour améliorer l'Etat de ses finances. Le fonds peut être doté de plusieurs centaines de milliards d'euros, et devait être temporaire. Sa seule présence devait permettre de rassurer les marchés, le risque de défaut étant considérablement éloigné, les taux d'intérêts des pays en mauvaise situation pouvaient alors baisser, leur laissant davantage d'air pour respirer le temps d'améliorer leur situation.

Seulement, il est désormais question de rendre ce fonds permanent. Et c'est là où la chancelière allemande Angela Merkel intervient. Elle considère que pour éviter une censure du dispositif par la cour constitutionnelle allemande, il doit être inscrit au sein du Traité de Lisbonne, avec tout l'arsenal répressif envers les pays ne respectant une rigueur budgétaire suffisante. Nicolas Sarkozy en a accepté le principe, en faisant revoir un peu à la baisse la portée de cet arsenal (il n'est plus question d'automaticité des sanctions). Aujourd'hui, les autres pays semblent bien obligés de suivre.

Mais est-ce une bonne chose ? Déjà, on ne peut que regretter de toucher au Traité de Lisbonne. Ce n'est pas une bonne idée en soi, et de le faire aussi vite risque de faire un mauvais précédent. Chacun pourra considérer que le Traité est modifiable à sa guise, en fonction d'une quelconque circonstance. Le risque se pose notamment de la part de partis eurosceptiques, qui n'auront plus peur de promettre n'importe quoi à ce sujet. Les blocages et psychodrames en vue sont légions. Ensuite, on peut se demander s'il fallait rendre permanent le FESF. Le problème de la Grèce est avant tout que ses comptes n'étaient pas fidèles à la réalité, ce que les dispositions du FESF ne peuvent corriger par avance (au pire, réprimer a posteriori, une fois que le mal est fait, ce qui ne change rien). Et les pays qui ne respectent pas les critères de Maastricht ordinairement (comme la France) peuvent d'ores et déjà s'en prendre à eux-mêmes. Enfin, il n'était pas certain que la cour de Karlsruhe bloque réellement le dispositif, mais le risque existait tout de même.

Au bout du compte, les inconvénients surpassent les raisons de cette modification. Voilà une mauvaise situation dont sont responsables tous ceux qui ont des comptes publics structurellement déficitaires. Cela fait pas mal de pays, mais la France ne doit pas se conforter à cette pensée. Elle peut déjà agir pour réduire ses déficits, c'est l'heure de passer à l'action au moins sur ce point là.