L'Education Nationale est certainement le ministère dont l'activité est la plus scrutée. C'est normal, connaissant le nombre de personnes qui y travaillent, et le nombre d'élèves qui y étudient. Le système scolaire français est donc un enjeu politique majeur, et il est l'objet de moult propositions, émanant de toutes parts. Très récemment, le marronnier de la suppression des notes est réapparu. Il est évidemment bien ridicule, casser le thermomètre ne suffisant pas à changer la température. Plus sérieusement, le ministre Luc Chatel a lancé depuis la rentrée une expérimentation sur la mise en place des rythmes scolaires à l'allemande dans une centaine de collèges et lycées français. C'est là aussi un sujet de réflexion récurrent. Les difficultés du modèle français nous ont depuis longtemps fait regarder le modèle allemand avec intérêt. Il est facile de penser que l'herbe est plus verte ailleurs. Le fait qu'il soit déjà fermement installé outre-Rhin montre qu'il ne s'agit pas d'une fantaisie, mais bien d'une alternative. Une question demeure pourtant : l'exemple est-il bien positif ?

Au vu de ce qu'il se passe en Allemagne, il est tout à fait possible d'en douter. Le modèle allemand consiste à regrouper les cours le matin, libérant les élèves pour des activités au choix, leur demandant moins de concentration. L'idée est de s'adapter au rythme supposé de l'enfant. Seulement, cela ne se passe forcément aussi bien que dans la théorie. Les activités de l'après midi sont optionnelles, elles ne sont pas vraiment encadrées par l'école. Cela veut dire que ce sont les parents qui doivent y accompagner leurs enfants, nécessitant d'eux une forte présence dans l'après midi. Leur progéniture est en effet lâchée dans la nature très tôt, vers 13 h. De nombreux enfants ne font pas ou peu d'activités l'après midi, et ce temps libre se traduit souvent par une simple oisiveté. Cela explique le fait que la chaîne allemande RTL2 diffuse des dessins animés tous les après midi, ou que l'on croise autant d'adolescents par petits groupes dans les rues à ces heures là.

Plus grave, l'exigence de présence de la famille pousse de nombreuses femmes à devoir faire un choix entre vie professionnelle et vie familiale. En Allemagne, le taux d'activité des femmes ayant des enfants est bien plus faible que dans d'autres pays, et celles qui sont attachées à leur carrière choisissent fréquemment de ne pas enfanter. La conséquence directe est particulièrement nette : le taux de natalité allemand est très faible, et même préoccupant. Le taux de fécondité, à 1,37 enfant par femme, est bien loin de suffire, et la population allemande décline quantitativement, posant des problèmes économiques et sociaux non négligeables.

Or ces inconvénients ne sont pas accompagnés d'avantages. Le rythme scolaire allemand n'apporte pas de meilleurs résultats. En fait, les Allemands sont mêmes les premiers à se plaindre des piètres performances de leur système éducatif. Les publications des résultats des tests PISA (menés auprès des pays de l'OCDE) sont vécues comme de véritables traumatismes outre-Rhin. En lecture et en mathématiques, le rang de l'Allemagne n'a rien de glorieux, se trouvant dans la deuxième moitié du tableau. La France elle-même y obtient de meilleurs résultats. L'Allemagne se déchire depuis une décennie dans des polémiques récurrentes sur les performances décevantes de son système éducatif. Parfois, le système français y est même cité en exemple.

Le rythme scolaire allemand n'est donc pas synonyme de bienfaits. Dès lors, quel besoin aurions nous donc de l'appliquer ? Il y a probablement des choses à faire au sein de l'Education Nationale. Veiller à ce que les programmes soient bouclés serait un bon début par exemple. Une autre chose positive serait de se demander ce qu'ont apporté les multiples réformes qui se sont succédés depuis 20 ans. Chaque ministre lance sa réforme sans se préoccuper des effets des précédentes. En fin de compte, nous naviguons à vue, les grandes idées et les petites lubies formant les vagues et marées sur lesquels le bateau de l'Education Nationale dérive.