Après la Grèce, c'est donc l'Irlande qui est acculée à demander de l'aide européenne pour faire face à ses difficultés financières. La situation est pourtant différente. En Grèce, tout le monde est coupable. Le pays a vécu longtemps et pratiquement consciemment au dessus de ses moyens. Les avantages sociaux étaient nombreux mais non financés. Le déficit public, forcément colossal, était lui soigneusement caché... ne rendant que plus dur le retour à la réalité. En Irlande, le système était quand même meilleur à la base. Le pays attirait les capitaux étrangers, qui permettaient le développement de filiales dans un pays donnant accès à l'ensemble des marchés européens, avec une main d'œuvre de bonne qualité. Le souci était que le pays était d'une part habitué à une croissance forte, rendant très douloureux tout ralentissement économique, et d'autre part la dérégulation avait permis la croissance de banques imprudentes. Celles-ci ont pris de plein fouet à la fois l'éclatement de la bulle immobilière irlandaise (permise par la surchauffe économique) et les difficultés financières de leurs homologues américaines, britanniques et islandaises.

Le gouvernement irlandais a choisi de sauver ses banques en en garantissant les dépôts. La décision de l'administration Bush de ne pas sauver Lehman Brothers avait eu place prépondérante dans l'aggravation de la crise mondiale. En conséquence, l'aide accordée est immense. Le pays prend en fin de compte en charge les pertes de ses banques, aboutissant à des déficits publics exceptionnels records. L'Irlande aurait du pouvoir assumer cette charge. Elle avait d'ores et déjà pris des mesures pour en tirer les leçons et réformer le pays.

Hors les discussions européennes sur le Fonds Européens de Stabilité Financière ont rendu les marchés financiers très nerveux. La volonté de l'Allemagne que toute aide à un pays européen s'accompagne de la restructuration de sa dette et donc de pertes pour les créanciers a même créé une belle panique. Cela se traduit par un renchérissement des taux d'intérêts, et des attaques contre les titres des pays perçus comme les plus fragiles financièrement... ici, l'Irlande donc. Cela a encore dégradé la santé financière du pays, et poussé son Premier ministre Brian Cowen à demander l'aide de l'Union Européenne et du FMI, après avoir pourtant proclamé précédemment qu'il n'en ferait rien. Cela a déjà provoqué une crise politique : il n'y survivra pas. L'Irlande va au devant d'élections législatives anticipées, et l'Europe se retrouve avec une crise supplémentaire à gérer.

Mais il n'est pas dit que cela suffise à calmer les marchés, en plaine folie furieuse. A ce stade, on est plus du tout dans le domaine du rationnel. Nous sommes encore dans un cas typique de dilemme du prisonnier qui remet fondamentalement en cause la valeur des marchés. Chaque individu, en croyant servir son propre intérêt, ne fait que desservir l'intérêt du groupe entier. Les agents tentent donc de se désengager de titres perçus comme risqués, accroissant eux-même le risque dans un cercle vicieux de prophéties auto-réalisatrices marqué par la déraison collective.

Quand la Grèce ne peut s'en prendre qu'à elle-même, l'Irlande peut se dire que les marchés financiers lui font payer sa volonté de sauver ses banques, ses banques dont la faillite aurait encore plus affecté ces mêmes marchés financiers. A peu près tout le monde sait que les marchés sont en fait bien peu rationnels, n'hésitant pas parfois à travailler pour leur propre perte en entraînant tout ce qui se trouve à côté. Ce n'est d'ailleurs pas ça le drame. Le drame, c'est de devoir y avoir recours.