Il y a 56 ans, Guy Mollet devenait président du conseil dans le cadre de la IVème République. Cela faisait déjà 10 ans qu'il était à la tête de la SFIO (qui s'appellera plus tard le Parti Socialiste). Suite à la victoire de la coalition hétéroclite du Front Républicain, il y a une incertitude : est-ce que ce sera lui, ou le populaire Pierre Mendès-France qui sera à la tête du gouvernement ? Ce sera finalement Guy Mollet. Le Front Républicain avait au moins quelque chose de clair dans son programme : arriver à la paix en Algérie en prenant soin de négocier avec les insurgés. Cela tournera mal dès les premiers jours du gouvernement. Venu voir la situation sur place, Guy Mollet subit l'opprobre de la population européenne, et suite à la quasi-émeute que suscite sa visite, il décide de changer sa trajectoire à 180°. Il donne raison aux protestataires européens en acceptant la démission du trop modéré général Catroux du poste de ministre résident en Algérie, et y nomme le plus bien plus vindicatif Robert Lacoste. A partir de là, la situation ne fera qu'empirer.

Plus question de paix négociée ou d'amnistie, il n'est plus question que de menaces envers les insurgés fanatiques. Pour rétablir l'ordre, le gouvernement socialiste n'hésite pas à donner de larges pouvoirs à l'armée. Un mois et demi après son arrivée au pouvoir, le ministre de la Justice François Mitterrand signe ainsi un texte de loi donnant la possibilité aux forces militaires de perquisitionner et de juger elles-mêmes tous les crimes commis en Algérie. La guerre d'Algérie est définitivement lancée. Quant aux négociations, il n'y en a plus pour une bonne raison : le 22 octobre 1956, les cinq principaux leaders du FLN dont Ahmed Ben Bella voient leur avion détourné et ils sont arrêtés. Ils resteront en prison jusqu'à la fin du conflit. Guy Mollet n'a pas pris lui-même la décision de cette arrestation. C'est pire que ça : il n'était pas au courant avant qu'elle ne se fasse, et mis devant le fait accompli, il décide de l'assumer, bien qu'il s'agisse là d'une preuve de la perte de contrôle du politique ou du judiciaire envers les autorités militaires.

C'est à cette époque que la torture se systématisa en Algérie. N'importe quel musulman pouvait être embarqué et torturé par l'armée si tel était le bon plaisir des soldats. De telles exactions ne pouvaient passer inaperçues. Plusieurs fois alerté, Guy Mollet choisit de passer ces faits sous silence et fait régner la censure pour garder le contrôle, plutôt que de mettre un terme aux abus. Robert Lacoste lui assure que tout se passe bien. Il le croit ou tout du moins s'en contente. Il ne souhaite pas le désavouer : c'est un camarade socialiste, et le remettre en cause serait nuisible au socialisme.

Guy Mollet cherche alors d'autres voies pour régler cette guerre. Persuadé que le conflit est attisé par le leader égyptien Nasser, il décide de lancer une opération visant à sa chute. Avec comme prétexte la nationalisation du canal de Suez, il incite le Premier ministre britannique Antony Eden à engager une action militaire. Il amadoue également le gouvernement israélien en le fournissant massivement en armes, et conçoit un plan navrant pour déstabiliser Nasser. La tragi-comédie est rapidement perçue par tout le monde, et l'intervention des Etats-Unis et de la Russie transforment l'opération en une humiliation pour la France et la Grande-Bretagne.

Début 1957 commence la violente bataille d'Alger, où l'armée française agit sans aucun contrôle politique. Au niveau économique, la situation n'est pas excellente. Les déficits publics sont élevés (l'envoi du contingent en Algérie est encore une charge supplémentaire), et l'inflation est très forte. Décision est prise de trafiquer les chiffres officiels de l'inflation pour ne pas que les prestations indexées augmentent à la même vitesse. D'une manière générale, le régime de la IVème République est plus discrédité que jamais.

La vraie expertise de Guy Mollet résidait en fait dans les mécaniques de parti. Militant socialiste très jeune, il a constamment navigué dans les questions de motions, de discipline interne du parti, de congrès et de tripatouillages électoraux. La IVème République était le terrain rêvé pour les obscures combinaisons de partis, et c'était ce que savait faire Guy Mollet. Il avait une grande capacité à renoncer à ses propres idées pour adopter envers et contre tout la position officielle du parti. Il était passionné par les théories marxistes, et l'idéal collectif du socialisme passait avant tout. La SFIO était pour lui l'alpha et l'omega de la politique. Il en restera le secrétaire général jusqu'en 1969. A ce moment là, le parti était devenu plus que moribond. Le candidat socialiste à l'élection présidentielle de cette année là n'était que quatrième, avec 5 % des voix. La grande longévité de Guy Mollet à la tête de son parti n'aura été en fin de compte bénéfique ni à la SFIO, ni à la France.

L'histoire de tant d'échecs fait frémir. On peut se rassurer en se disant que c'est le passé, et que l'énergie du général De Gaulle a permis de remettre la France sur de meilleurs rails. Mais il faut savoir en retenir les leçons. Aujourd'hui, il y a un homme au profil étonnamment similaire qui peut accéder au pouvoir. François Hollande a été premier secrétaire du Parti Socialiste depuis plus longtemps que quiconque depuis... Guy Mollet. Il doit lui aussi sa longévité à ce poste à sa capacité à plier l'échine devant les courants et les alliances très mouvantes qui font les congrès socialistes. Mais quand il a l'a quitté, personne ne le regrettait, le parti étant devenu bien informe. Son manque constant d'autorité l'handicapait pour fixer un but clair. Cette expérience à la tête du PS est en fait bien la seule dont il peut se prévaloir. Il pourrait devenir Président de la République... L'exemple que nous montre le fantôme de l'incompétence qu'est Guy Mollet peut-il nous éclairer pour les choix à faire d'ici quelques mois ?