Raisonnons en nombre de voix : 6 421 773 personnes ont voté pour Marine Le Pen lors du premier tour de la présidentielle, dimanche dernier. C'est un résultat énorme, un record tant en nombre de voix donc qu'en part de l'électorat. Il en avait fallu beaucoup moins à son père pour passer au deuxième tour en 2002, mais cette année, les deux principaux candidats sont restés à des niveaux bien plus élevés. Il faut noter la progression : en 1988, Jean-Marie Le Pen faisait 4 376 742 voix. En 1995, il passait à 4 571 138 électeurs. 2002 était le précédent record du Front National, avec 4 804 713 voix, mais même en ajoutant les 667 026 voix de Bruno Mégret, un dissident frontiste lors de cette élection, il y a toujours une différence d'un million de personnes. Un millions de voix en plus par rapport en 2002. Le choc était déjà grand en 2002, mais avec ce million en plus, c'est toute la société qui est interpellée. Alors, que s'est-il passé ?

Pour commencer, ce n'est pas une surprise en soi. A vrai dire, on craignait déjà un score élevé du candidat du Front National en 2007, et ce d'autant plus que les sondages traditionnellement évaluent mal ce poids politique. Entre 2002 et 2007, les raisons du vote FN n'avaient pas diminué, et déjà à l'époque, on redoutait le futur remplacement de Jean-Marie Le Pen par sa fille, aussi percutante, mais évidemment plus jeune. A l'époque, la surprise fut le faible score du FN, en bonne partie car Nicolas Sarkozy avait réussi à obtenir le vote de personnes jusque là déçues par la droite.

Au vu des résultats, on s'aperçoit bien que ces mêmes personnes ont été déçues à nouveau. Le fond du problème de positionnement de Nicolas Sarkozy est qu'il a été trop à droite dans le discours, et pas assez dans les actes. Alors que le discours devait attirer les électeurs tentés par l'extrême droite, et la pratique rassurer les centristes, c'est le contraire qui s'est passé. Le discours a heurté les centristes, et la pratique n'a pas satisfait la marge droitière de l'électorat. Reste à savoir comment celle-ci accueillerait une Présidence François Hollande...

En même temps, Marine Le Pen a bien eu l'impact prédit. Elle garde le même ton agressif envers à peu près tout, mais n'a pas les mêmes casseroles que son père. Peut-être contrôle-t-elle mieux son expression. En même temps, il faut également reconnaître que sans le proclamer, le programme du Front National a évolué sur certains points qui étaient susceptibles d'effrayer des électeurs autrefois : par exemple, contrairement à l'époque de Jean-Marie Le Pen, il n'est plus question de mettre tous les étrangers dehors, mais seulement tous les sans papiers, et il est désormais indiqué qu'il y aura soit le rétablissement de la peine de mort, soit la perpétuité réelle, changeant fondamentalement la question. Au bout du compte, le FN est donc moins craint : ce n'est pas un parti fasciste doté d'une milice, les gens s'en rendent compte, il peut davantage être comparé à d'autres partis ultra-conservateurs en Europe qu'à la menace nazie. Voilà qui a probablement aidé à élargir son socle électoral.

Au final, il reste que le Front National est considérée comme la principale alternative aux deux grands partis, plutôt que les communistes en tous genres et les centristes. Cela a forcément une influence. François Hollande a ainsi déclaré vouloir récupérer ces voix, ce qui n'a semble-t-il gêné personne, alors que c'était jusqu'à présent l'un des principaux reproches faits à Nicolas Sarkozy. Le vote FN, c'est principalement un vote contre l'immigration, la mondialisation, la construction européenne, le laxisme en matière de sécurité... Comme sur tous les sujets, il faut à chaque fois trouver le bon dosage. Le PS et l'UMP ne sauraient aller jusqu'aux positions du FN sur ces points. Mais ils doivent au moins comprendre que ces thèmes préoccupent beaucoup de gens, et apporter des solutions convaincantes pour y répondre. Après tout, on l'a vu en 2007, le vote FN n'a rien d'une fatalité.