On a souvent une vision misérabiliste des pays en voie de développement. Pourtant, en dehors de ceux de l'Afrique noire, la plupart d'entre eux font des progrès soutenus vers la prospérité économique. A ce titre, les Tigres et les Dragons d'Asie ont montré un exemple convaincant de développement réussi, et aujourd'hui la Chine connaît des taux de croissance annuelle dépassant les 9 %, alors que sous Mao, l'économie communiste blessait au plus haut point le pays et sa population. Le modèle appliqué par la Chine est à ce titre particulièrement intéressant. L'économie est désormais capitaliste, mais le régime politique est autoritaire. A ce titre, le gouvernement chinois a fortement orienté les directions prises par les entreprises, en contrôlant notamment les investissements étrangers, attirés par la perspective de toucher un énorme débouché de plus de un milliard de consommateurs aux revenus croissants.

Ainsi, les firmes multi-nationales ont du impérativement négocier leur implantation avec le gouvernement, et durent accepter systématiquement d'entrer sur le marché chinois en travaillant avec un partenaire local à travers une joint-venture. Le mécanisme permet à ces entreprises chinoises d'acquérir rapidement de l'expérience, notamment par le biais de transferts de technologies obligatoires par contrat, qui leur permettra plus tard de prendre leur envol seules. Aujourd'hui, les compagnies occidentales semblent ravies d'accepter et se félicitent des contrats ainsi obtenus. Mais demain elles auront à faire face à de nouveaux concurrents qu'elles auront elles-mêmes formés.

Il est naturel pour le gouvernement chinois de tirer profit de son avantage : en tant que système mi-communiste, mi-capitaliste, il ne respecte pas toutes les règles de l'économie libérale, et est la porte d'entrée nécessaire à l'accès aux nombreux consommateurs chinois. Il en tire donc une position dominante sur l'économie chinoise dont il fait profiter les entreprises nationales. Celles-ci deviennent de plus en plus fortes, et si elles s'occupent essentiellement d'assemblage en sous-traitance d'entreprises étrangères, elles acquièrent progressivement la connaissance nécessaire pour l'ingénierie et la conception, ce qui leur permettra d'augmenter la valeur ajoutée produite et maîtrisée.

Face aux bas coûts de la main d'Å“uvre chinoise, il est souvent prôné par les pays occidentaux la montée en gamme et la recherche et développement afin de créer des produits où l'avantage de coûts est moins évident. Mais la stratégie adoptée par la Chine lui permettra d'adopter à terme avec confiance la conception de produits technologiquement évolués, comme l'avait fait en son temps le Japon. Seulement ce sera à une toute autre échelle. Déjà, ces champions nationaux montrent les dents au niveau mondial : si les automobiles chinoises ont encore mauvaise réputation à l'étranger, les exemples du rachat des téléviseurs Thomson par TCL ou des PC d'IBM par Lenovo ont alerté les pays occidentaux sur la montée de compétiteurs redoutables. Il n'est pas encore dit que les entreprises chinoises seront forcément meilleures que les occidentales sur leurs propres marchés, mais l'on peut se poser la question sur la durabilité de tels transferts de technologie lorsque l'on apprend que pour vendre des avions, Airbus prévoit de faire construire leurs ailes en Chine. Tout le projet Airbus repose pourtant sur la fabrication d'avions en Europe, à quoi bon tant d'efforts européens à promouvoir son propre champion, si c'est pour que même les emplois demandant le plus de savoir-faire soient délocalisés ? La même question s'est posée pour les réacteurs nucléaires d'Areva. On peut donc être heureux qu'un pays autrefois extrêmement pauvre trouve sa place dans le capitalisme mondial. Néanmoins, il ne faut pas pour autant sous-estimer la Chine et le danger qu'elle représente au niveau économique, y compris sur les technologies les plus évoluées.