En 1823, le président américain James Monroe affirmait que le continent américain entier relevait uniquement de l'influence des Etats-Unis dans le sens où toute tentative d'intervention européenne en Amérique du Sud était exclue. En 1904, Theodore Roosevelt ajouta son propre corollaire à cette doctrine : les Etats-Unis auraient désormais le droit d'intervenir en Amérique latine pour défendre ses intérêts. Ainsi, si le premier mouvement était une marque d'hostilité au colonialisme des Européens, le second établit de fait un certain protectorat sur les pays latins. C'est ainsi une certaine forme de cynisme qui est mise en avant, dans la mesure où les grands idéaux de la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes mis en avant pour justifier une politique est bafouée pour justifier son prolongement.

C'est par de tels procédés que les Etats-Unis ont été amenés à avoir les mains sales dans biens des pays d'Amérique latine et centrale. La paranoïa des administrations américaines à propos de l'extension du communisme les a amenés à financer les opposants les plus douteux à la cause du socialisme d'Etat. En pratique, cela s'est traduit par des guérillas entre pouvoir en place et rebelles, l'un étant soutenu par les Etats-Unis, l'autre par l'URSS, dans des conflits toujours particulièrement répugnants. Il faut dire que ce ne fut pas l'apanage de l'Amérique latine, de tels affrontements ayant eu lieu dans de très nombreux pays à travers le monde dans le cadre de la guerre froide. Dans le cas des ingérences des Etats-Unis dans son continent, les exemples sont édifiants. La manoeuvre la plus célèbre et la plus décriée fut le support de la CIA au coup d'Etat réalisé par le Général Pinochet contre Salvador Allende au Chili en 1973, établissant au passage une dictature militaire. Il y en d'autres, et le soutien de l'administration Reagan aux contre-révolutionnaires du Nicaragua en est un symbole. Mais c'est évidemment Cuba qui reste un point toujours épineux, vu comment les Présidents américains qui se sont succédés ont toujours été nerveux d'avoir un régime hostile proche de la Floride. Lors de l'arrivée de Fidel Castro, le tort des communistes étaient avant tout de remettre en cause les intérêts commerciaux américains dans le pays, et c'est ce qui a donné lieu à la pitoyable expédition de la Baie des Cochons. Puis lorsque le régime cubain s'est allié aux Soviétiques, la crise des missiles de Cuba a légitimé cette inquiétude. En fin de compte, il y a eu un certain consensus implicite : Cuba ne serait le théâtre de mouvements militaires pour aucun des deux super puissances.

Mais l'effondrement du bloc soviétique a beaucoup changé la donne. Il est désormais difficile de suspecter les pays socialistes d'Amérique latine de danger mortel pour les Etats-Unis. Mais curieusement, ces derniers les prennent toujours autant au sérieux. C'est en particulier le cas pour Hugo Chavez. Celui-ci, dirigeant du Venezuela, un pays riche en pétrole, énerve fortement l'administration Bush par ses rodomontades, la proximité affichée avec le régime de Fidel Castro, ses quelques tentatives de créer une coalition diplomatique anti-US en Amérique latine ou bien par sa volonté d'insulter George Bush en prenant tout le monde à témoin, comme lorsqu'il décide de fournir du fuel aux citoyens des Etats-Unis les plus modestes. Ce qui constitue une volonté d'humiliation, en tentant de montrer que le Venezuela, pays pauvre, est obligé de venir en aide à la population d'un pays riche.

Hugo Chavez est un vrai souci pour les Etats-Unis, alors qu'il est très loin de Mahmoud Ahmadinejad ou de Kim Jong-Il dans le danger effectif. En fait, les Etats-Unis ne souffrent pas la contestation, y compris lorsqu'elle vient d'un petit pays. Le fait que le Venezuela se trouve dans la zone concernée par la Doctrine Monroe et le corollaire Roosevelt est une circonstance aggravante. Mais vis-à-vis d'une menace nulle, plutôt que de reprocher à un pays ses remarques hostiles, pourquoi ne pas essayer de montrer qu'elles ne sont pas justifiées ?