Il est une mesure à laquelle Nicolas Sarkozy tient particulièrement : l'allègement voire la suppression des droits de succession au sein de la famille proche. Son raisonnement est le suivant :"Il est légitime de vouloir léguer les fruits d'une vie de travail à ses enfants". Certes. Mais une telle mesure ne se justifie pas vraiment économiquement parlant, et est même contraire au principe d'égalité des chances. C'est la raison pour laquelle elle n'est pas souhaitable.

Comme lui faisait remarquer l'économiste Elie Cohen sur le plateau d'Arlette Chabot de France 2, la situation financière de la France est exsangue. Son déficit entre à peine dans les limites du Traité de Maastricht, et sa dette est énorme, ce qui fait payer une charge d'intérêts lourde chaque année aux Français. Le budget est le levier d'action principal d'un gouvernement, il convient donc d'être particulièrement précautionneux sur le choix des priorités à appliquer. Dès lors, il est difficile d'affirmer qu'une telle suppression de droits de succession soit particulièrement utile d'un point de vue économique. En effet, la théorie keynésienne affirme qu'une politique de relance de la croissance peut être amené par une redistribution des revenus vers ceux qui ont la propension à consommer la plus forte. Une baisse des droits de succession pourrait selon ce principe augmenter le revenu disponible à la consommation des héritiers. Mais ceux-ci ont-ils vraiment une propension à consommer forte ? On peut en douter. La théorie du cycle de vie des ménages de Franco Modigliani (prix Nobel d'économie en 1985) affirme qu'un ménage n'a pas les mêmes niveaux d'épargne ou de consommation selon son âge. Cela se comprend aisément : lorsqu'il entre dans la vie active, qu'il s'installe, donne naissance à des enfants et acquiert un logement, un ménage s'endette fortement alors que ses revenus sont souvent faibles. Par la suite, au fil des années, leur consommation augmente moins que leurs revenus, et leurs emprunts se remboursent, tant et si bien qu'ils commencent à épargner en prévision de leur retraite. Une fois celle-ci arrivée, les ménages épargneront moins vu une baisse de leurs revenus, mais le patrimoine est souvent déjà constitué sous la forme d'un logement et de biens d'équipement.

Avec l'allongement de l'espérance de vie, les décès arrivent de plus en plus tard, et c'est heureux. Mais il se trouve que les enfants héritent de leurs parents dans la période de leur vie où ils n'ont pas la plus grande utilité de cet héritage. Au moment de l'héritage, les descendants sont en effet à la fin de leur vie active, ou bien même déjà en retraite. Ces transmissions de patrimoine seraient plus utiles lorsque les enfants sont encore en période de vache maigre, qu'ils ont du mal à s'en sortir, et qu'ils ont en conséquence une propension à consommer très forte : une très grande partie de leurs revenus sera transformé en consommation, ce qui devrait bénéficier à la croissance économique. Evidemment, lorsque leurs enfants débutent dans la vie active, les parents ont besoin de cette épargne pour préparer leur retraite. Le mécanisme qui aurait le plus de sens serait alors une transmission des grands-parents vers leurs petits enfants, que ce soit par un don de leur vivant, ou de moindres droits de succession si l'héritage est transmis en "sautant" le chaînon des enfants au moins en partie pour arriver directement aux petits enfants qui eux commencent leur vie active. Quoi qu'il en soit, il faut bien rester conscient qu'il faut être particulièrement sourcilleux sur les baisses d'impôts à accorder, et d'autres champs sont aussi à explorer : la défiscalisation des énergies propres peut être coûteuse, mais très utile pour la société.

Car il reste un problème moral dans la transmission de l'héritage : les droits de succession permettent une certaine redistribution des revenus, ou des patrimoines. Tout le monde n'a pas la chance d'avoir des parents ou même des grands-parents qui ont bien réussi dans la vie, et si le succès n'est en aucun cas quelque chose dont il faut avoir honte lorsqu'on a travaillé dur pour l'obtenir, profiter de celui de son ascendance sans rien y avoir fait pour y contribuer est moins légitime. C'est même en forte contradiction avec le principe d'égalité des chances qui doit être la principale égalité à rechercher en matière sociale. Les mécanismes de transmission des capitaux culturels et sociaux sont déjà suffisamment déséquilibrés au sein de la société française pour que s'y rajoutent des transmissions sans frein des capitaux économiques, sans aucune égalité ni même équité. Ce serait encore une fois faire gagner qui n'ont que le mérite d'être bien né. Alors certes, chaque parent souhaite que ses enfants aient une meilleure vie que lui. Mais le meilleur moyen pour y arriver serait de les encourager à créer eux-mêmes les conditions de leur propre succès.