Quand peut on parler d'un homme politique qui a réussi ? A la fin de sa carrière, lorsqu'il prend sa retraite, l'homme politique peut-il se dire "j'ai bien agi pour mon pays" ? Ainsi, Edouard Balladur ne souhaite pas se représenter lors des prochaines élections législatives. A 78 ans tout de même, l'heure de la retraite sera arrivée pour lui. Dans le domaine politique, il aura été député, ministre des finances et Premier ministre, et aura été également candidat à la présidence de la région Ile de France, à la mairie de Paris et bien sûr à la Présidence de la République. Il fait partie d'une époque, entre le pompidolisme et le sarkozysme, avec une carrière parallèle à celle de Jacques Chirac. Et chaque époque est marquée d'une certaine façon par les personnalités qui sont au pouvoir : elles passent, la France reste, de toutes façons il faut bien qu'il y ait un dirigeant, au fil du temps l'information devient "qui était au pouvoir à cette époque" plutôt que "la personne qui était au pouvoir a-t-elle réussi ce qu'elle a entrepris".

Malgré tous les clichés, lorsque l'on se lance dans la vie politique, il y a tout de même une envie de bien faire et d'améliorer les choses pour ses concitoyens. Mais le fait est qu'ils sont difficiles à contenter, un problème en chassant un autre. L'insécurité apparaît moins forte ? La priorité devient alors la lutte contre le chômage. Le chômage diminue, en partie par le recours à des contrats de travail flexibles ? La précarité devient insupportable. Si le CDI à temps complet venait à redevenir la règle, cela ne ferait que raviver les plaintes sur le niveau du pouvoir d'achat. Cela peut continuer longtemps comme cela, et c'est d'ailleurs bien compréhensible. Les pays riches peuvent se permettre de polémiquer sur tous les sujets, l'essentiel étant qu'il y ait quelque chose dont on peut polémiquer. Aux Etats-Unis, en absence de guerre, les débats font rage sur l'avortement ou l'opportunité d'une loi visant à réprimer ceux qui brûlent le drapeau national. Si un Président peut vouloir rassembler son peuple, celui-ci reste toujours très divisé, et l'action d'une personnalité politique ne fait donc jamais l'unanimité. Au contraire même, en prenant des décisions il est extrêmement difficile de contenter tout le monde sur tous les points. Un bilan est donc fait d'ombres et de lumières, et la persistance de difficultés donne l'impression d'échecs insupportables. Raymond Barre, Valéry-Giscard d'Estaing ou François Mitterrand ont du se poser la question de l'efficacité de leur action, ou bien se la posent toujours. Et si jamais ils arrivaient à relativiser suffisamment pour ne pas revenir sur le passé, d'autres n'hésitent pas à mettre le doigt là où ça fait mal. C'est bien pour cela qu'une sortie de la vie politique laisse toujours un goût amer, quelles que soit les choses qui ont été accomplies. Le général de Gaulle lui-même a quitté le pouvoir sous un désaveu de la population française, malgré son statut et ce qu'il avait fait pour la France. Quant à Pierre Bérégovoy, la question prend une tournure cruelle...

En fin de compte, on peut se dire que le seul moyen de juger c'est de comparer les personnalités politiques entre elles. Et encore, les situations pouvant être tellement différentes. Valéry Giscard d'Estaing avait dit avoir apprécié pour discuter avec son successeur de leurs expériences respectives. Et alors qu'il s'apprête probablement à quitter le pouvoir, Jacques Chirac pourra juger son action à l'aune de celle de François Mitterrand. Ainsi, ce dernier avait réussi à faire adopter le référendum sur le Traité de Maastricht, alors que le Président actuel n'aura pas réussi à faire adopter le Traité Constitutionnel Européen. Mais François Mitterrand avait pu compter sur l'aide courageuse de Jacques Chirac pour limiter le non à droite en 1992, alors que le Parti Socialiste aura été moins efficace à gauche en 2005... En fait, en matière de politique étrangère, celle de la France évolue assez peu au fil des alternances, et il est peu probable qu'il y ait une révolution dans ce domaine à la suite des prochaines élections. Et en matière de changement, le bilan apparaît toujours douloureux.

En fin de compte, ce n'est pas tant à l'heure de la retraite qu'un homme politique pourra juger de son action. Il est même peu probable qu'il le puisse. "L'Histoire jugera" a-t-on dit, et il faut du temps pour qu'il y ait suffisamment de recul afin de juger d'une époque. Que l'on se souvienne de quelqu'un qui a été au pouvoir il y a longtemps est déjà remarquable, encore faut il que ce soit pour ses actions positives...