Le 26 mars dernier, les représentants des différents candidats à l'élection présidentielle s'étaient rendus à la Mutualité à l'invitation de la Fondation France Télévisions pour exposer leurs vues respectives sur l'audiovisuel public. Il est apparu que seuls deux candidats (ceux de l'UMP et du FN) s'opposaient à une augmentation de la redevance, les autres étant favorables à ce que cet impôt augmente. En France, la redevance finance non seulement France Télévisions, mais aussi Radio France et l'INA. Tous ceux qui possèdent un téléviseur y sont assujettis : ainsi, celui qui ne regardera pas du tout la télévision, ou jamais les chaînes publiques, devra s'en acquitter. De même, tous ceux qui possèdent un téléviseur finance le service radiophonique public, la probabilité qu'ils en soient auditeurs étant encore plus faible. Evidemment, à l'apparition des transistors, ce n'était plus possible de demander un impôt sur un appareil ridiculement petit. Mais les télévisions ont également beaucoup évolué, les chaînes sont d'ailleurs accessibles par le moindre ordinateur. Le fait qu'il y ait un impôt dédié aux chaînes publiques a surtout un contre-effet non négligeable : chacun se considère comme un actionnaire de France Télévisions, vu qu'il paye explicitement pour leurs programmes sans avoir le choix. Et donc chacun y va de son appréciation, et comme d'habitude, l'unanimité n'est pas de mise.

L'audiovisuel public est donc soumis à un vieux dilemme : qualité ou audience ? C'est une des raisons de la valse régulière des dirigeants de France Télévisions. Si un directeur de chaîne fait en sorte que les programmes soient populaires et très regardés, il sera invariablement accusé de faire la même chose que les chaînes privées et de sortir de son rôle de service public, pour lequel la redevance est payée. S'il veille à ce que ses programmes soient d'une qualité exemplaire, il se trouvera évidemment qu'ils n'interesseront pas autant de télespectateurs, or si les gens payent une redevance pour que personne n'en regarde le résultat, c'est que c'est de l'argent mal dépensé. Ainsi, l'audiovisuel public se retrouve structurellement mis en accusation. En fait, les dirigeants de chaînes, les employés et les producteurs de programmes préfèrent eux que leurs financements proviennent surtout de la redevance, et font du lobbying pour cela (l'événement organisé à la Mutualité en étant un exemple). La pression de l'audience y est moins forte qu'avec les recettes publicitaires, où il y a des comptes à rendre aux annonceurs. Surtout, sous couvert de faire des programmes de qualités, cela leur permet de laisser libre cours à leur créativité sans parfois se soucier du télespectateur, ce qui donne des programmes un peu élitistes. Il faut évidemment qu'il y ait un choix de haut niveau disponible pour le télespectateur. France 5 et Arte jouent très bien ce rôle. Mais ces chaînes en illustrent aussi les limites, vu leurs audiences bien plus limitées que celles des autres chaînes hertziennes. Par rapport à TF1 ou M6, la redevance permet déjà qu'il y ait un peu moins de publicités sur France 2 et France 3, et que les programmes soient plus diversifiés, la recherche d'un public composé de ménagères de moins de 50 ans (cible préférée des annonceurs) étant moins forte dans le public. Il reste que la rentabilité de la grille des programmes (en terme de téléspectateurs/argent dépensé quelque soit sa provenance) est plus faible sur le public que sur le privé.

Alors les partisans d'une augmentation de la redevance avancent le fait qu'elle n'a pas augmenté depuis six ans, et surtout qu'elle est plus forte chez nos voisins européens. Elle est, il est vrai, bien plus élevée au Royaume-Uni par exemple. Mais sur les chaînes de télévision de la BBC, il n'y a pas du tout d'écrans de publicité. Et si ces chaînes sont très regardées, il faut sortir du cliché qui consisterait à dire que la BBC serait la meilleure télévision au monde. Outre manche, l'institution est elle aussi attaquée pour la qualité de ses programmes, et il faut savoir que même sur ces chaînes dites très réputées, une fois le "couvre feu" (watershed) pour les enfants de 22 heures passés, les programmes de la BBC peuvent surprendre par leur côté parfois trash.

L'augmentation de la redevance apparaît ainsi comme une solution de facilité. Du côté des radios, elle n'a pas empêché France Info de diffuser de plus en plus de publicités (pour des sociétés publiques) sans qu'on puisse vraiment dire que la grille des programmes soit plus coûteuse, étant inchangée depuis sa création. Surtout, une telle augmentation ne peut pas avoir d'effets positifs auprès de la satisfaction du public : il y aura toujours trop de publicités pour tout le monde (à moins que cette augmentation soit vraiment colossale pour supprimer les annonceurs), certains continueront de critiquer la qualité trop faible des programmes, d'autres continueront de se tourner vers les chaînes privées plus accueillantes et divertissantes. Ce n'est donc pas vraiment une bonne idée que de vouloir augmenter la redevance, en faisant de chaque propriétaire de téléviseur un abonné obligatoire aux chaînes publiques, elle ne peut faire que des mécontents.