Le Président de l'Ukraine Viktor Yushchenko a dissous le Parlement le 2 avril dernier. C'est le résultat d'une cohabitation très difficile entre lui et son Premier ministre, Viktor Yanukovych, qui était son adversaire lors des élections présidentielles en 2004. Ces élections avaient donné lieu à la Révolution Orange, suite aux irrégularités qui avaient eu lieu. Mais depuis, on ne peut pas dire que la vie politique ukrainienne soit calme : la coalition formée avec Yuliya Tymoshenko n'a pas duré longtemps, du fait des mauvaises relations entre les partenaires qui la composaient. Les résultats du gouvernements étaient modestes, surtout d'un point de vue économique. Les élections législatives de 2006 et les changements de lignes qui ont suivi ont forcé Viktor Yushchenko à nommer Viktor Yanukovych. C'est le genre de situations qu'on connait bien en France. Mais en Ukraine, le gouvernement en a profité pour prendre d'autorité de plus en plus de pouvoirs, outrepassant les attributions du Président. Dans le même temps, la coalition pro-russe gagne de plus en plus d'assurance en récupérant le soutien de nouveaux députés. D'un point de vue institutionnel, le Premier ministre de cohabitation allait donc prendre le pas sur le Président. Celui-ci a donc réagit en dissolvant le Parlement.

La Révolution Orange a montré l'existence d'une profonde division dans l'Ukraine : là-bas, le débat politique ne tourne pas autour des notions de gauche ou de droite comme on l'entend à l'ouest de l'Europe, ce sont les questions géopolitiques qui semblent prédominer. Ex Etat membre de l'URSS, l'Ukraine est profondément partagée entre ses liens anciens avec la Russie et son désir de se tourner vers l'Union Européenne. Viktor Yanukovych qui fait partie du camp pro-russe, était fortement soutenu par la Russie lors des manifestations suivant les élections présidentielles, Vladimir Poutine voyant d'un très mauvais oeil que les pays occidentaux cherchent à intervenir dans ce qu'il considère être encore sa zone d'influence réservée. Pour sa part, Viktor Yushchenko a pu compter sur les puissances occidentales pour soutenir l'annulation du deuxième tour lorsqu'il est apparu que le scrutin avait été irrégulier. Il souhaite résolument que l'Ukraine puisse être considéré comme un pays européen. Du reste, que ce soit avec ou sans irrégularités, il apparait que le vote se fait largement sur une base géographique : l'est du pays, voisin de la Russie, vote massivement pour le camp pro-russe, quand l'ouest vote tout aussi massivement pour le camp pro-occidental, laissant une ligne de partage nette au milieu du pays. C'est un clivage majeur pour un pays d'une taille aussi importante, et assez révélateur des tensions qui subsistent malgré tout entre les deux blocs qui se toisaient pendant la guerre froide. L'Ukraine était d'ailleurs comme étant partagée dans le cadre de la frontière entre la civilisation occidentale et la civilisation orthodoxe dans la thèse de Samuel Huntington, décrite en 1996 dans son livre Le Choc des Civilisations. Ces questions agitent également la Bielorussie et la Moldavie, où la question de la forte influence russe est parfois questionnée. Le déroulement des élections présidentielles en Bielorussie en 2006 a d'ailleurs très similaire à ce qui s'est passé en Ukraine en 2004, même si in fine le camp pro-russe a cette fois-ci réussi à conserver le pouvoir.

Dans le cadre de la reconstruction de la puissance stratégique de la Russie, la question de l'Ukraine n'est pas un dossier mineur. Mais si la Russie n'a pas de scrupules à intervenir directement pour y favoriser ses intérêts, l'Europe doit se contenter de proner le libre choix de la population ukrainienne. Les pays occidentaux sont dans leur rôle lorsqu'elle proteste contre des élections truquées, la Russie ne l'est pas en faisant des pro-russes une succursale du pouvoir de Moscou, en les protégeant dans le cadre de leurs manoeuvres bien peu éthiques. De ce fait, Viktor Yushchenko peut évidemment dissoudre le Parlement s'il le souhaite, si la Constitution ukrainienne l'autorise. L'essentiel sera surtout que les élections qui suivront soient régulières, le Parlement qui en sortira aura alors une légitimité forte, qu'il soit pro-occidental ou pro-russe. Dans ce dernier cas, il faudra bien que les Etats-Unis et l'Europe l'acceptent. Mais même si l'Ukraine n'a pas vraiment vocation à rejoindre l'Union Européenne à long terme, elle a le droit de vouloir quitter la sphère d'influence russe si c'est ce que sa population veut majoritairement, que ce soit ce que souhaite la Russie ou non.