Le fait que l'on regroupe le Danemark, la Norvège, la Suède et la Finlande dans la Scandinavie est pratique pour parler d'un ensemble que l'on croit à peu près homogène. Si la proximité culturelle est certaine, ces pays ont aussi des vies politiques assez semblables. Pourtant, en matière d'Europe, les positions sont bien éloignées entre ces différents pays. La Norvège refuse d'adhérer à l'Union Européenne, ayant rejeté par deux fois des référendums qui proposait cette adhésion. La Suède et le Danemark n'ont pas adopté l'euro, et ont profité des refus français et néerlandais pour reporter la réflexion quant au Traité Constitutionnel Européen. De son côté, la Finlande a fait partie de la zone euro dès le départ, et a voté le Traité Consitutionnel Européen par la voie législative, mais on peut objecter que la Finlande n'est compté dans la Scandinavie que par extension, le terme géographique strict se référant normalement qu'aux trois autres pays. Pour ceux là, la question des pertes de souveraineté que pose la construction européenne est une difficulté, un peu à la manière de la façon dont le débat est posé aux Pays-Bas, à la différence près que dans le cas néerlandais la culture économique est plus libérale. Les populations de la Suède et du Danemark craignent que l'Union Européenne soit un facteur menaçant pour leur modèle social très généreux. Les réussites de ce modèle ont été telles qu'il a été envié par le reste du monde depuis des décennies.

Ainsi, Ségolène Royal fait actuellement campagne sur sa volonté d'adopter un tel modèle pour la France, croyant pouvoir bénéficier des mêmes résultats. Cela présuppose déjà que les pays soient comparables. Pour commencer, la France seule est quatre fois plus peuplée que le Danemark et la Suède réunis. Les différences culturelles sont considérables : la France ayant une culture latine, et étant également moins homogène que la Scandinavie. On admire l'éthique, la modernité dans la vie familiale et la protection sociale forte de l'Europe du Nord, mais il est plus facile de vouloir les transposer que de pouvoir le faire. Cette protection sociale vient d'un ancrage assez marqué dans la sociale démocratie, mais cela ne doit pas être confondu avec un Etat Providence conquérant comme semble le croire la candidate socialiste. Certes les prélèvements obligatoires y sont importants, mais en baisse : après la crise économique qui a touché la région au début des années 90, les impôts se sont largement orientés à la baisse. La Suède vient même d'annoncer qu'elle allait supprimer l'impôt sur la fortune, ce qui est inconcevable pour les socialistes français. En outre, le marché du travail y est plus flexible qu'en France : les aides sont importantes, mais le retour à l'emploi doit être rapide. Ségolène Royal s'était trouvée à la peine lorsqu'on lui a rétorqué que le modèle suédois, qu'elle appelait de ses voeux, ne comportait pas de durée légale du travail, alors qu'elle souhaite ramener chaque salarié aux 35 heures prévues par Martine Aubry.

La clé de la réussite de ces modèles se trouvent dans le dialogue social qu'il y a entre entreprises et salariés, et d'une manière générale dans toute la société. Les salariés y sont syndiqués à plus de 80 %, ce qui donne une légitimité forte aux syndicats pour négocier. Il faut dire aussi que ces syndicats ont une approche responsable des choses, ce qui les différencie fortement de ceux qui tiennent le haut du pavé en France. Ségolène Royal confond la cause et la conséquence lorsqu'elle veut qu'il soit obligatoire de se syndiquer, ou bien souhaite donner des avantages consommateurs à la syndication. Cela donne une vision étrange du dialogue social, certainement pas celle qui prévaut en Suède et au Danemark. En fin de compte il apparait que pour mettre en place les modèles suédois ou danois, il faudrait remettre en cause certains emblèmes du socialisme, ce qui est tabou pour la gauche française. Et cela fait justement la différence entre le socialisme dont se revendique la gauche française et la sociale démocratie qui prévaut dans le reste de l'Europe.