En 1993, Edouard Balladur a fait passer les salariés du privé de 37 ans et demi de cotisation pour la retraite à 40 ans. En 2003, ce fut le tour du régime général de la fonction publique. Aujourd'hui, il ne reste plus que les régimes spéciaux. Ceux qui en relèvent continuent de cotiser 37 ans et demi (en théorie, car certains cheminots peuvent partir en retraite à 50 ans, ce qui ne garantit même pas une telle durée de cotisation), et voient leur pension calculée sur leur salaire des six derniers mois, contres les 25 meilleures années dans le privé. Les régimes spéciaux sont complètement déficitaires, ce qui signifie qu'ils sont renfloués par les régimes de ceux qui travaillent plus longtemps, et c'est bien ce qui est profondément injuste. Lorsque François Fillon, alors simple sénateur, avait lancé en 2006 qu'en cas d'élection de la droite à la présidentielle, elle réformerait les régimes spéciaux, les syndicats concernés s'étaient lancés dans une "grève préventive" à la simple énonciation de l'hypothèse. Cela laissait bien imaginer les troubles qui suivraient si le gouvernement aurait suffisamment de courage pour s'atteler à une réforme aussi nécessaire. En effet, une bonne partie des cheminots et leurs syndicats n'hésitent pas un instant lorsqu'il faut sacrifier l'intérêt général sur l'autel de leurs intérêts particuliers. Le but est alors de nuire à la société suffisamment (en faisant grève) pour que celle-ci tolère la nuisance habituelle qu'elle lui cause (par le maintien des régimes spéciaux). Ils profitent d'une forte capacité de nuisance pour se bénéficier de règles particulièrement inéquitables.

Voilà pourquoi il faut la faire, cette réforme des régimes spéciaux. Et puisque ceux qui la combattent veulent en profiter pour s'assurer d'une nouvelle période de blocages en tous genres, il faut également faire comprendre que l'ancienne ère de l'immobilisme doit désormais prendre fin. En matière de retraite, l'équité doit prévaloir. En 2008, il est prévu que les cotisations passent progressivement de 40 à 42 ans, toujours pour permettre le financement d'une population qui vit plus longtemps. Ce serait alors 42 ans pour tous. On peut imaginer certains aménagements pour ceux dont le travail est si pénible que leur espérance de vie en est réduite. De même pour les pompiers et les militaires, dont le métier est de risquer sa vie pour l'intérêt général. Ce n'est en tous cas pas le cas des salariés de la RATP ou de la SNCF, loin de là. Comme ils vivent aussi longtemps que tout le monde (voire même ont une espérance de vie légèrement supérieure), leur départ à la retraite à un âge aussi faible fait qu'ils ont les plus grandes durées de vie en retraite en France. Cela permet au passage de relativiser la pénibilité supposée des métiers qu'ils effectuent.

Mais si c'est 42 ans pour tous, cela ne saurait être plus pour certains s'ils ne le souhaitent pas. En 2003, à la suite des négociations entre le gouvernement et la CFDT, la réforme a stipulé le fait que pour ceux qui avaient commencé à travailler très tôt pouvaient désormais prendre leur retraite une fois ces 42 ans de cotisation atteints, l'âge de 60 ans atteint ou non. Cette mesure fut peut être coûteuse (par rapport aux rentrées financières qu'auraient représentées les années de cotisations nécessaires pour atteindre 60 ans), mais elle est parfaitement juste. A ce titre, elle ne saurait être remise en cause. François Chérèque, dirigeant de la CFDT, s'est insurgé à raison lorsque François Fillon a voulu mettre ce dossier sur la table. Parce que ce dont a besoin le système de retraites, c'est d'équité. Une équité qui fasse que chacun remplisse sa part du contrat, ce qui veut dire travailler plus pour les bénéficiaires des régimes spéciaux, et pouvoir partir en retraite pour ceux qui ont d'ores et déjà cotisé 42 ans.