Des pays comme le Danemark ou la Suède rechignent encore à passer à l'euro. Ce n'est pas pour sauvegarder l'indépendance de leur politique monétaire, vu que ces deux pays voient leurs monnaies largement sous l'influence des mouvements de l'euro, la couronne danoise restant même dans des marges d'évolution réduites autour de la monnaie européenne, au sein du mécanisme de taux de change européen. Lors des référendums ayant eu lieu sur l'adoption de l'euro, les citoyens concernés ont justifié leurs refus par la volonté de garder leurs particularismes, dont le symbole est la monnaie nationale, ainsi que par la crainte d'une inflation résultant du changement de monnaie. Cette dernière question est d'autant plus aigüe qu'elle s'appuie sur l'expérience des pays ayant déjà effectué le changement de monnaie. Il peut paraître paradoxal de voir en l'euro un facteur d'inflation : la Banque Centrale Européenne a été construite sur une base doctrinaire clairement monétariste, et les présidents de cette institution n'ont pas laissé de doute sur le fait qu'ils étaient prêts à sacrifier la croissance pour combattre l'inflation.

Seulement, avec le recul, il apparaît bien que sur le moment précis du passage à l'euro, certains prix ont augmenté. Entre le 31 décembre 2001 et le 1er janvier 2002, le prix de journaux quotidiens tels que Le Monde, Libération ou Les Echos est passé de 1,14 euro à 1,20 euro, soit une augmentation de plus de 5 % en une seule nuit. De la même façon, plusieurs petits prix ont subitement augmentés. Les coûts du passage à l'euro ont été très réduits pour les entreprises, ils n'ont pu en rien être un facteur d'inflation instantanée. La volonté d'afficher des prix "ronds" ou psychologiques (qui se finissent par ,99) n'est pas une raison suffisante, dans la mesure où ces ajustements auraient très bien pu se faire à la baisse (le journal Le Figaro a lui profité de l'occasion pour descendre son prix à 1 €). Cette hausse de prix a surtout été l'occasion pour les entreprises de tenter de profiter de la perte de repères des prix des consommateurs pour augmenter leur marge. Les consommateurs ont beau ne pas avoir été dupes, ils n'ont pas eu le choix que de voir ces prix augmenter. Dès lors, les véritables coupables apparaissent : ce n'est pas l'euro qu'il faut blâmer, mais bien les entreprises qui ont opéré un mouvement que l'on pourrait comparer à une vaste escroquerie organisée de façon implicite.

Cette situation n'est possible que parce que la concurrence interne est faible : aujourd'hui les entreprises préfèrent garder leurs champs intacts plutôt que de tenter d'en gagner. L'augmentation du bénéfice d'une entreprise ne saurait se faire ni en améliorant les produits, ni en prenant des parts de marché aux concurrents, mais en forçant le consommateur à payer davantage, qui évidemment, le prend mal. L'euro et l'Union Européenne favorisent néanmoins la concurrence, et celle-ci manque grandement, surtout dans les diverses branches du secteur de la distribution. Pour en profiter, le consommateur doit parfois accepter de changer certaines de ses habitudes qui forment des rentes pour entreprises passives.