La Grande Bretagne cherche à réformer la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH). Elle a actuellement la présidence pour six mois du Conseil de l'Europe, dont dépend cette institution judiciaire. C'est une belle fenêtre pour avancer ses vues. Il faut dire que les Britanniques sont furieux après des condamnations pour le moins controversées. La CEDH reproche ainsi à la Grande Bretagne de priver de droit de vote ses détenus, une pratique qui a cours depuis presque toujours. Cela fait partie de la punition, considèrent en somme les Britanniques, qui n'ont aucune envie de changer la loi correspondante. La CEDH considère qu'il faut laisser la libre opinion du peuple s'exprimer, et que les prisonniers en font partie. Mais ce n'est pas la seule affaire qui pose problème : le gouvernement britannique reproche également à la CEDH de l'avoir forcé à libérer un islamiste plutôt que de l'extrader en Jordanie, où sa présence était demandée. Déjà qu'en temps normal la Grande Bretagne est vigilante sur son indépendance, mais quand on lui demande d'agir contrairement à ce qu'elle considère son propre intérêt, elle explose.

Seulement, sur ce coup, elle n'a pas forcément tort. On peut d'ailleurs être fédéraliste européen, et juger que la CEDH est devenu un vrai problème, une institution dévoyée et en roue libre. Pour commencer, contrairement à son intitulé, elle n'est pas spécialement liée à l'Europe, puisque la Turquie, un pays asiatique, en fait partie. Elle n'a par ailleurs aucun lien avec l'Union Européenne, qui reste l'authentique projet de construction européenne. Ensuite, les droits de l'homme sont devenus un prétexte pour rendre des décisions concernant n'importe quel sujet. La position de la CEDH comme ultime recours, soit après la cour de cassation en France, permet à tous les marathoniens de la procédure d'y envoyer leur dossier, espérant que via la loterie du jugement, une décision favorable vienne mettre à mal une justice locale trop peu conciliante. On arrive donc à une inflation démesurée des recours et des arrêts rendus, près de 900 par an aujourd'hui, contre une dizaine il y a une trentaine d'années. Même avec les nouvelles adhésions, un tel volume ne se justifie pas.

Le souci, c'est que la CEDH a depuis développé une fâcheuse tendance à outrepasser le rôle qui lui a été confié. C'est encore une fois la vieille rengaine de l'homme qui a un marteau, et qui voit tout sous forme de clous à enfoncer. Au départ, les droits décrits dans le titre I de la Convention européenne des droits de l'homme sont en nombre assez restreint et vise les plus grands droits reconnus pour les citoyens de démocraties. Seulement, la CEDH raisonne aujourd'hui "par extension". Elle n'applique plus seulement la Convention européenne des droits de l'homme, mais tout un tas de textes internationaux qui ont été écrits à travers le monde depuis... et ce, alors qu'elle n'en a pas été chargé. Elle a également une vision très large de l'application des droits, bien plus que dans l'esprit initial du texte.

En conséquence, les décisions surprenantes voire presque incompréhensibles se multiplient. En 2009, l'interdiction des crucifix dans les salles de classes italiennes, où leur présence est une longue tradition, avait provoqué un tollé. Finalement, deux ans plus tard, elle est revenue en arrière en décidant que les crucifix ne posaient aucun problème. Neuf ans de procédure pour arriver à ça...

Plus récemment, l'Italie a été condamnée pour avoir rejeté l'entrée sur son territoire de migrants somaliens et érythréens qui venaient de Libye. La CEDH s'est appuyée dans cette décision sur une interdiction du refoulement qui n'est absolument pas dans le texte qu'elle est chargée d'appliquer. Le texte de l'arrêt le reconnaît, mais avance que la Cour interprète ou admet au-delà. L'interdiction des traitements inhumains ou dégradants est alors invoqué pour justifier une innovante interdiction du refoulement. Et ce, alors qu'il ne s'agit que d'un risque, et qu'il ne dépend pas de l'Etat qui ferme sa frontière.

Au bout du compte, lorsqu'on prend la peine de consulter les dizaines de pages que constituent tous ces arrêts, on découvre à quel point la CEDH se soucie désormais moins d'appliquer le droit que de prôner sa propre idéologie, fondamentalement subjective. Les considérations externes aux affaires s'y multiplient, et les juges montrent que leur métier consiste à façonner la société tels qu'ils voudraient qu'elle soit, non à simplement vérifier que les grands principes démocratiques sont appliqués.

Avec tout cela, le danger est que la CEDH devienne de moins en moins pertinente, à force d'outrepasser ses compétences. Le besoin de réforme se fait donc nettement sentir. Sinon, c'est son existence même qui pourrait être menacée à terme. Après tout, dans les pays démocratiques, les institutions politiques et judiciaires ordinaires suffisent déjà à appliquer les droits de l'homme. Si l'Italie et la Grande Bretagne ne sont pas des démocraties, alors il n'y a aucune démocratie dans le monde... Quel était alors le besoin d'un recours supplémentaire, bien plus éloigné ? La Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne s'applique ainsi suivant un strict respect du principe de subsidiarité : si une question ne concerne pas l'Union Européenne elle-même, alors elle peut-être traitée par la juridiction nationale. Il est donc nécessaire de réformer la CEDH si l'on ne veut pas se poser la question de son abandon pur et simple.