Le pape Benoît XVI a fait un vaste discours mardi dernier sur la relation entre la raison et la foi. A cette occasion, il a mis en cause la religion musulmane, citant un empereur byzantin pour lequel cette religion n'a apporté "que des choses mauvaises et inhumaines", avec comme exemple l'encouragement au jihad, la guerre sainte. Nous savons que Benoît XVI est un pape très clairement conservateur, qui ne fait aucune concession sur le fait que le catholicisme est la véritable religion révélée, et qu'en conséquence, le dialogue entre les religions n'est pas une priorité, vu qu'il apporte une certaine relativisation. Regrettant l'effacement de la foi catholique dans certains pays, le pape souhaite dans ces discours démontrer la force du catholicisme en tant que religion, fusse au détriment des autres. Cette semaine, il s'est ainsi prononcé sur l'Islam, en critiquant ce culte pour mieux promouvoir le christianisme. Ses propos sont discutables, et semblent bien peu marqués de la sagesse qu'exige un tel poste. En effet, en disant cela, il ignore délibérément les progrès réalisés par les savants musulmans, et tout simplement le fait que la grande majorité des musulmans vivent de manière pacifique, travaillant pour le bien commun, et ayant une interprétation bien différente du Coran que celle faite par les extrémistes islamistes.

Il était donc naturel que des responsables religieux musulmans demandent au pape de corriger ses propos. Cela a été fait, mais ce simple discours a entraîné bien plus que cela. Très rapidement, des responsables politiques et religieux musulmans se sont attaqués au pape en des propos très vifs, mais les foules sont également descendues dans la rue en réaction, hurlant à l'offense faite au prophète, y voyant une nouvelle attaque de l'occident envers l'islam et se déclarant prêt à tout pour laver cet affront. Pour commencer, le portrait du pape a été brûlé, le mot croisade a été lancé pour caractériser ses mots, des cocktails molotov ont été lancés sur une église, puis une religieuse italienne a été tuée en Somalie, et en conséquence l'Italie a relevé le niveau d'alerte terroriste vu l'augmentation du niveau de menaces. Cela rappelle immédiatement ce qu'il s'était passé lors des affaires des caricatures danoises de Mahomet.

Le Coran interdit de représenter le prophète, et un journal l'avait fait par défi. Parmi les douze caricatures, certaines étaient tout à fait inoffensives, d'autres caricaturaient surtout cette interdiction, et quelques unes faisaient un amalgame condamnable entre Islam et terrorisme. Les responsables religieux musulmans danois firent appel à la communauté musulmane internationale pour riposter, obtenant l'aide des pays musulmans. Cela se traduisit d'abord par des protestations diplomatiques auxquelles le gouvernement danois répondit qu'il protégeait d'abord la liberté d'expression. L'affaire évolua ensuite en un boycott des produits danois et des autres pays où les caricatures avaient été publiées. Enfin, des manifestations quotidiennes brûlèrent des drapeaux danois et s'attaquèrent violemment aux ambassades danoises dans une explosion de fondamentalisme religieux.

On peut envisager la question sous l'angle de la liberté d'expression : lorsque des propos du pape ou les caricatures d'un journal sont diffamantes envers toute une communauté religieuse sans distinction, il est naturel qu'il y ait des protestations. Mais dans le cas des caricatures, pour ceux qui manifestaient de la façon la plus exaltée, le problème n'était pas tant que certaines étaient insultantes, mais plutôt le fait même que Mahomet ait été représenté, ce qui au contraire au Coran. Les commandements du Coran ne s'appliquent pourtant pas à ceux qui ne sont pas musulmans, mais visiblement les manifestants ne voient pas cette subtilité, et considèrent que la loi musulmane s'applique à tous. A vrai dire, ce motif de colère ne pouvait être que le seul, car cela aurait été un pêché pour eux que de voir les caricatures, même s'ils se seraient rendu compte d'eux-mêmes de ce qu'il en était. On peut alors se demander si ces foules ne sont pas trop dépendantes des imams qu'elles respectent, alors que ceux-ci ne semblent pas tous se distinguer par leur sens des responsabilités. De même, il est totalement paradoxal qu'en réaction à un discours du pape accusant les musulmans de violence, certains d'entre eux usent justement de violence, lui donnant presque raison.

Petit à petit, on peut se demander si le problème n'est pas simplement qu'il n'est pas possible d'évoquer l'Islam en des termes négatifs. Pourtant, c'est un lieu commun que de dire que toute chose a des aspects positifs et des aspects négatifs. Les apports et les passifs du catholicisme sont discutés chaque jour, cela a été permis par les philosophes qui ont prôné la tolérance et l'esprit critique. Mais cela ne semble pas pouvoir s'appliquer à l'Islam, dont certains imams fondamentalistes refusent de débattre des différentes interprétations du Coran et des aspects négatifs qu'a pu apporter leur religion. A long terme, c'est la possibilité même d'un dialogue entre musulmans et non-musulmans qui pourrait être compromise, et cela justifie toutes les craintes de conflit entre civilisations. Heureusement, les musulmans sont loin d'être tous acquis à une idéologie fondamentaliste, et actuellement, nous pouvons encore espérer que ceux qui restent mesurés arriveront à être davantage entendus par les autres.