Depuis une vingtaine d'années, l'Espagne connaît une croissance importante, qui l'a fait quitter son statut de pays à part dans l'occident, vis-à-vis de son faible développement d'autrefois. L'Espagne avait beaucoup souffert de la politique franquiste, qui l'avait laissé dans un marasme économique pendant une quarantaine d'années. Pour se relever, elle pouvait compter sur de nouvelles politiques plus libérales, pour relancer la croissance, mais pour rattraper le reste de l'Europe occidentale, elle a eu besoin de l'aide de l'Union Européenne. Depuis son adhésion en 1986, l'Espagne a massivement bénéficié des aides régionales européennes. Elles lui ont permis de financer des infrastructures indispensables, et de créer de nouvelles industries. Ce fût un élément fondamental du retour de l'Espagne dans la moyenne européenne, comme c'est aussi le cas pour l'Irlande. En conséquence, la construction européenne est plutôt bien vue de l'autre côté des Pyrénées. L'Europe est vue comme un moyen de libération et de développement, plutôt que comme un facteur de perte de souveraineté. Ainsi, lors du référendum qui eut lieu le 20 février 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen, tous les partis avaient appeler à voter oui. L'approbation fût donc de 77 %, même si le taux de participation n'était que de 42 %. C'était le seul référendum organisé sur la question avant ceux de la France et des Pays-Bas, qui s'étaient soldés par des rejets.

Pour José-Luis Zapatero, le Premier ministre espagnol, ce référendum donne du poids au TCE, et c'est la raison pour laquelle il considère que la Constitution ne doit pas être abandonnée. Ainsi, les pays qui ont déjà ratifié le Traité ne devraient pas être les perdants des rejets français et néerlandais, et ce serait alors à ces pays de faire les efforts nécessaires pour se sortir eux-mêmes de cette situation. C'est ainsi qu'en ce début d'année, l'Espagne avait organisé avec le Luxembourg un sommet à Madrid des 18 pays qui avait ratifié le TCE, dans le but de faire une démonstration de force. Le message est simple : le texte du TCE ne doit pas être passé par pertes et profits.

José-Luis Zapatero aurait pourtant tord de refuser de remettre en discussion les institutions européennes. Il doit voir la réalité en face, les échecs français et néerlandais bloquent la poursuite de la construction européenne, sans oublier que d'autres pays qui ont laissé de côté la question sont des obstacles potentiels bien plus forts à l'adoption généralisée du TCE. En outre, en faisant une telle démonstration de force, l'Espagne introduit une vraie division entre les différents pays, et cela ne va pas dans le sens d'une solution. En fait, il ne s'agit pas de faire du dogmatisme, même si l'on peut comprendre que le Premier ministre espagnol ait du mal à accepter l'idée que le référendum qu'il a organisé avec succès n'ait en fin de compte servi à rien. Mais cette légitimité populaire sur l'ensemble du texte, vaut aussi pour le texte en morceaux. En l'occurrence, dans la solution d'un traité simplifié limité aux institutions, l'Espagne pourrait le ratifier sans difficulté en s'appuyant sur la consultation menée en 2005. Elle rejoindrait ainsi le front de la recherche de sortie de crise, formés de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Allemagne ou de l'Italie. La situation a trop durée, il faut aller vite, pour éventuellement viser une issue avant la fin de l'année.