Les élections législatives belges de dimanche dernier devraient déboucher sur un changement de Premier ministre. Guy Verhofstadt serait ainsi remplacé par Yves Leterme, cela traduit certes de bonnes performances électorales de la part des chrétiens démocrates, mais l'analyse des résultats en Belgique peut être plus compliquée. En effet, le pays est notable pour avoir adopté le système de la proportionnelle depuis un siècle maintenant. De plus, ces dernières décennies, un mouvement s'est engagé visant à séparer la vie politique flamande de la vie politique wallonne. De ce fait, les partis politiques belges ont finis par tous se scinder en deux, du fait de forts désaccords entre les branches francophones et néerlandophones. Pour constituer un gouvernement, il faut donc passer par un procédé complexe, où le roi nomme un informateur, qui désigne le formateur du gouvernement. Celui-ci deviendra Premier ministre, et doit tenir compte dans la composition de son gouvernement du poids de chaque formation et de chaque communauté, pour obtenir un dosage qui puisse avoir l'assentiment de l'Assemblée élue.

Avec l'arrivée de Yves Leterme au pouvoir, c'est en tous cas la volonté d'une autonomie encore plus grande de la Flandre qui l'emporte. Celle-ci souhaite en effet pouvoir se dégager de ce qu'elle perçoit comme un fardeau, c'est à dire la Wallonie. La Wallonie francophone est en effet plus pauvre, et donc demande davantage de ressources de l'Etat fédéral. Elle peut être vue comme semblable par certains aspects au nord de la France. De son côté, la Flandre est très proche culturellement des Pays-Bas. Et en fait, l'attelage peut sembler étrange, voire même instable.

La Wallonie est très attachée à l'unité de la Belgique, et au maintien des pouvoirs du roi. Elle n'en reste pas moins souvent curieuse de ce qu'il se passe en France, parfois même davantage de ce qu'il se passe en Belgique. La campagne présidentielle française a ainsi passionné les Belges, qui y trouvaient une clarté qu'ils ne trouvaient pas chez eux. Le débat télévisé entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy a ainsi attiré davantage de téléspectateurs belges que celui entre Yves Leterme et Guy Verhofstadt pendant la campagne pour les législatives belges. Les personnalités politiques belges francophones font d'ailleurs désormais référence à leurs contreparties françaises, en se comparant soit à la ligne de Nicolas Sarkozy, celle de Ségolène Royal ou bien de François Bayrou. Une "UMP belge" a d'ailleurs été créée en Belgique par des admirateurs de la démarche de Nicolas Sarkozy souhaitant de façon troublante que son programme soit appliqué en Belgique. Il existe même un parti "rattachiste", qui souhaite que la Wallonie soit rattachée à la France. Certes, son audience est limitée. Mais son existence même est révélatrice d'un certain malaise qui règne en Belgique. A ce titre, l'agitation née de l'émission de la RTBF simulant une séparation des communautés belges est emblématique. Lorsque la Flandre se prononce pour d'avantage d'autonomie ou pour une confédération plutôt qu'une fédération en Belgique, il existe le Vlaams Belang, qui milite carrément pour l'indépendance de la province.

Cette cohabitation entre deux ensembles, peut-être deux nations, forme donc la base de la vie politique belge. Si la situation n'est pas forcément la plus saine, elle a permis néanmoins de tenir l'unité belge depuis la création récente du pays en 1830. Il est pourtant difficile de prévoir comment la situation va évoluer. Si la Belgique devait devenir confédérale, ce serait probablement déjà un aboutissement en soi, étant donné que la dislocation du pays n'est souhaitable pour personne, que ce soit la Wallonie, la Flandre, les Pays-Bas et la France. Au moins, la Belgique dans son ensemble est largement favorable à la construction européenne. Elle l'accueille d'ailleurs largement, au vu des nombreuses institutions européennes présentes à Bruxelles. Pourtant, le caractère obscur de la vie politique belge pour les Belges eux-mêmes a également valeur d'exemple. C'est d'un contre-exemple dont il s'agit, tant les dosages complexes, les manœuvres de partis, le manque de clarté de la politique peut détourner les citoyens de la vie de leur pays. En Belgique, cela ne se voit pas, mais c'est uniquement parce que le vote est devenu obligatoire, sous peine d'amende. Sans ce signal de mécontentement que représente l'abstention aux élections, comment prendre en compte le véritable avis des Belges sur leur classe politique ? En se voilant la face pour mieux préserver un système bancal, les responsables politiques belges maintiennent un malaise fort tant en Wallonie qu'en Flandre.