Depuis le 1er janvier 2005, un système de droits à polluer a été lancé en Europe. Chaque pays distribue des autorisations d'émissions de CO2 à l'industrie et aux producteurs d'électricité. Le mécanisme est censé les pousser à investir dans des procédés visant à réduire ces émissions, dans la mesure où s'ils n'utilisent pas tous leurs droits, ils peuvent les revendre dans une bourse d'échanges spéciale, et s'ils dépassent les autorisations reçues, ils doivent en racheter dans ce marché des droits à polluer. Le but est donc de faire jouer les mécanismes de l'offre et de la demande pour favoriser une baisse des émissions de CO2. D'une année à l'autre, les émissions sont censées diminuer, devant normalement rendre plus rares ces droits à polluer, et donc les rendre plus chers. La motivation grandit alors pour les entreprises de faire en sorte d'émettre moins de CO2. Avec la ratification du traité de Kyoto, l'ensemble des pays européens s'est engagé à diminuer de façon significatives ses émissions. Ce procédé est censé représenter la solution, vu qu'il concernerait la moitié environ des émetteurs de gaz carbonique.

Pourtant, cela ne fonctionne pas comme prévu. En effet, les droits distribués ont notablement dépassé les émissions constatées en 2005 et en 2006, et comme l'offre de droits à polluer dépassait la demande, leur cour s'est effondré, passant d'une vingtaine d'euros à ses débuts à un euro environ aujourd'hui. A ce prix là, aucune entreprise ne voit d'intérêt à investir pour réduire le niveau de ses émissions. Une explication est le fait que des hivers doux ont favorisé une baisse de la consommation d'électricité, et donc une moindre production à partir d'énergies fossiles, pour les pays qui dépendent largement de centrales thermiques. Une autre, plus convaincante, est que les gouvernements n'ont tout simplement pas voulu poser de problèmes aux industriels qui voyaient d'un mauvais oeil cette nouvelle source de dépenses. Les industriels français ont par exemple annoncé que s'il leur manquait des droits à polluer, ils n'en achèteraient pas à la bourse vu le coût trop élevé que ça représenterait. Cela se traduirait alors par une baisse de l'activité, tout simplement. Ils mettent également en avant que le plus simple moyen de respecter ces engagements est de fermer les usines dans l'Union Européenne pour les entreprises qui travaillent dans un milieu concurrentiel mondialisé (à l'inverse par exemple des cimentiers, qui sont tenus de rester physiquement proche des débouchés), pour les rouvrir dans des pays n'ayant aucune politique en matière d'environnement, où les coûts sont donc plus faibles.

Bref, les résultats ne sont pas probants, et d'une manière générale on peut s'interroger sur l'opportunité de confier au marché l'enjeu de l'environnement. Ne serait-ce que l'idée de vendre des droits à causer du tort laisse un goût amer, rappelant fortement le commerce des indulgences par l'Eglise en son temps : l'argent viendrait à bout de tous les torts. Les mérites de la main invisible en la matière restent à prouver. L'effet du mécanisme est tout simplement de renchérir l'émission de CO2, ce qui est à peu près l'effet d'une taxe, mais sans les revenus inhérents pour les gouvernements ou la Commission Européenne. La différence est que la vente de droits excédentaires est censé pousser les industriels à diminuer plus que prévu leurs émissions, pour pouvoir être récompensés en conséquence, tout cela, sans qu'il n'y ait de nouvelles administrations publiques pour s'occupper de cela.

Quoi qu'il en soit, on ne peut douter que dans une concurrence mondialisé, les entreprises soient peu enclines à faire face à de nouvelles charges qui ne se transforment pas en un avantage pour elles, et que certains de leurs concurrents ne connaissent pas. Alors qu'on parle de désindustrialisation des pays développés, la question pose problème. Surtout que si les émissions provenant de l'industrie et de la production d'énergie ont tendances à baisser en Europe, celles venant des transports augmentent fortement. Or les transports représentent déjà un quart des émissions européennes, ils ne sont pas soumis à ce mécanisme alors qu'eux ne subissent pas le même degré de concurrence : pour eux, la notion de marché intérieur a encore un sens. Enfin, on peut se demander sur le degré d'efficacité de telles mesures pour la planète alors que certains pays en développement (comme la Chine) sont bien loin de ces problématiques, quand leurs émissions sont considérables et en constante augmentation. L'idéal serait évidemment que le monde entier soit en concurrence sur les mêmes bases, et ne pas récompenser ceux qui se montrent les plus insouciants. Dans un étonnant reversement des rôles, voire dans un moment d'honnêteté cynique, Pékin s'est même permis de faire valoir le statut particulier de son industrie "qui permet aux pays riches d'importer en masse des produits bon marché en délocalisant leurs activités polluantes". Elle refuse donc de souscrire au Traité de Kyoto, et rejette les objections des pays développés en montrant leur prétendue hypocrisie. Hypocrisie que la Chine partage bien elle-même : si elle ne représentait pas un eldorado de la possibilité de produire de façon polluante à bas prix, les entreprises seraient moins tentés de faire face aux réglementations sur la pollution par la fuite que représente la délocalisation.