En visite dans le Caucase la semaine dernière, Nicolas Sarkozy s'est fait applaudir par des dizaines de milliers de Géorgiens en critiquant le maintien de forces armées russes en Ossétie du Sud. Mais il a également marqué un autre coup diplomatique en déclarant en Arménie que la Turquie devait reconnaître le génocide arménien qu'elle a commis en 1915. En l'absence d'une telle reconnaissance, le chef de l'Etat a annoncé que la loi punissant le négationnisme du génocide arménien serait adoptée. Cela a bien évidemment provoqué la fureur d'Ankara, qui y a vu une mesure politicienne, et en a profité pour critiquer la France sur sa crise économique. La presse turque diagnostique chez le Président français "une aversion culturelle et historique solidement ancrée en lui" envers la Turquie et les Turcs, et se targue que la Turquie ait fait capoter le projet d'Union Pour la Méditerranée. D'une manière générale, la France serait jalouse de l'influence croissante turque et de son dynamisme économique, et souhaiterait ainsi la gêner par tous les moyens.

Le propos manque pour le moins de nuance. Il révèle néanmoins toutes les différences que l'on peut sentir entre les positions turques et françaises. Contrairement à la France qui n'en finit pas de douter d'elle même, la Turquie déborde de confiance en elle, c'est vrai. Mais cette auto-glorification turque constante n'est pas loin du nationalisme. La Turquie veut entrer dans l'Union Européenne, et ne comprend pas que cela ne se passe pas aussi vite qu'elle le souhaite. Selon elle, l'Union Européenne a besoin d'elle, et elle considère que son rang est naturellement au sein des pays les plus développés. Pourquoi alors, se dit-elle, toutes ces contraintes ?

De part et d'autres, on semble en fait avoir oublié la raison de la candidature turque à l'Union Européenne. Le processus d'adhésion n'avance plus du tout. Ce n'est pas étonnant. Plusieurs pays comme la France, l'Allemagne ou l'Autrice sont résolument contre cette adhésion. La Turquie ne reconnaît même pas l'un des pays membres de l'Union, Chypre. Et culturellement, on ne l'a jamais sentie aussi éloignée de l'Europe occidentale. Son nationalisme l'empêche d'être traversée par les mêmes courants d'idées que l'Europe, et la liberté d'expression y est limitée sur des bases très subjectives. Insulter la Turquie y est ainsi un crime puni de deux ans d'emprisonnement, et affirmer que la Turquie a commis un génocide constitue une telle insulte. Pour la Turquie, elle ne peut tout simplement avoir commis de tels massacres, vu qu'elle est bien au-dessus de cela.

Il y a des situations où avoir un peu d'humilité n'est pas forcément dévalorisant. Le génocide des Arméniens n'est pas contesté par les historiens, et la Turquie s'honorerait plus que s'humilierait à reconnaître ce pan de son passé. Certes, ces années là étaient aussi celles de la refondation de la Turquie, une période révérée pour les Turcs. Mais personne n'est parfait, et la Turquie devrait reconnaître qu'elle est une nation parmi d'autres, avec ses qualités et ses défauts, plutôt qu'un pays à qui l'on ne peut rien reprocher. Et cela passera tôt ou tard par la reconnaissance du génocide arménien.