En août dernier, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont souhaité que soit mise en place une taxe sur les transactions financières. La proposition est désormais reprise par la Commission Européenne, et son président, José-Manuel Barroso souhaite la voir à l'œuvre d'ici 2014. Il s'agit là tout simplement d'un vieux serpent de mer, la taxe Tobin, du nom d'un ancien prix Nobel d'économie. A l'origine, il s'agissait de taxer faiblement toutes les transactions financières pour limiter la spéculation et financer l'aide au développement. Avec l'émergence d'Attac à la fin des années 90, la taxe Tobin avait le vent en poupe chez les alter-mondialistes, et l'idée s'est popularisée. Au cours de la décennie, la possibilité d'une taxe sur les transactions financières était souvent brandie comme une solution magique pour financer un peu tout et n'importe quoi.

Dans le projet actuel, les revenus de la taxe seraient partagés entre les Etats membres, désespérément en recherche de fonds, et l'Union Européenne, qui aurait là enfin une source supplémentaire de revenus propres. Alors que le monde traverse une crise financière terrible, l'idée de récolter des fonds sur le dos d'un secteur financier coupable apparaît plus que jamais séduisante. A force de spéculations, parfois même à très court terme et automatisées, les marchés financiers se sont progressivement déconnecté de l'économie concrète. La sophistication et la dérégulation des produits financiers depuis les années 80 a créé des forces turbulentes que plus grand monde ne comprend totalement. Et à côté de cela, les PME peinent parfois à se voir octroyer des crédits ordinaires. On comprend alors que la France, qui veut une politique économique européenne, et l'Allemagne, qui souhaite faire payer les banques dans la crise de la dette actuelle, mettent en avant cette taxe sur les transactions financières.

Seulement, elle doit faire face aux mêmes arguments qu'autrefois. En premier lieu, les théoriciens d'une économie libérale expliquent qu'une telle taxe nuirait à la fluidité des mouvements de fond, et en conséquence, rendrait plus cher le crédit et limiterait donc les investissements. L'argument est connu, mais douteux. Surtout, cet inconvénient pèse peu par rapport aux problèmes causés par une fluidité excessive. Les variations trop brusques des marchés financiers ont des externalités négatives qui dépassent le problème d'une baisse (certainement très limitée) des investissements. Et puis il est certainement préférable d'investir sur le long terme, plutôt que pour trois heures.

Le deuxième argument est beaucoup plus lourd, et justifie presque à lui la réputation d'impossibilité de la taxe Tobin. En effet, pour qu'elle soit parfaitement efficace, il faudrait qu'elle soit adoptée au niveau mondial. Le moindre passager clandestin aurait une grosse opportunité, celui d'accueillir les marchés financiers fuyant ladite taxe. Les Anglo-Saxons pointent déjà du doigt les centres financiers émergents tels que Singapour. Et à vrai dire, ils n'ont strictement aucune envie de s'y mettre. Aux Etats-Unis, Wall Street combat vigoureusement et efficacement toute régulation. Le Dodd-Frank Act adopté par le Congrès l'année dernière pour réguler davantage Wall Street n'est tout simplement pas mis en œuvre. Les mouvements d'opinion hostiles à tout nouvel impôt sont puissants, et se concrétisent via l'influence des lobbys dans la vie politique américaine. Les Britanniques, eux, considèrent qu'une telle taxe serait en fait une taxe sur la City, vu qu'elle est la première place où s'opère cette frénésie boursière que l'on veut limiter. Vu l'importance du secteur financier dans leur économie, ils combattront eux-aussi de toute leur force cette taxe.

La mettre en place au niveau mondial est donc une illusion, et même au niveau de l'Union Européenne, ce serait extrêmement compliqué. Certains souhaitent qu'elle se fasse au niveau de la zone euro, mais elle serait alors très facile à éviter. De toute façon, elle n'aurait probablement pas réussi à vraiment limiter la spéculation, mais au moins on en aurait eu des revenus intéressants. La France et l'Allemagne peuvent donc toujours la souhaiter, mais la vraie difficulté ne réside pas chez eux.