Depuis le début de l'année, la période est peu propice pour les vétérans de la vie politique française. C'est Michel Rocard qui est atteint d'un accident vasculaire cérébral, ce sont aussi les décès de Pierre Messmer et surtout celui de Raymond Barre qui montrent que toute une génération d'hommes politiques français est en train de s'en aller. Même ceux qui sont épargnés par les soucis de santé s'éloignent du premier plan. Edouard Balladur s'occupe désormais d'une commission sur les institutions, Jacques Chirac crée une fondation pour l'entente entre les peuples, mais ils n'ont plus aucune responsabilité exécutive ou législative. De toutes façons, même s'ils ne souhaitaient pas prendre leur retraite, ils sont poussés vers la porte de sortie. Ainsi, Lionel Jospin voulait être à nouveau candidat lors de la dernière présidentielle pour le Parti Socialiste, mais s'est retiré devant le faible accueil réservé à cette candidature par sa famille politique. Et même Michel Rocard a cru bon de proposer à Ségolène Royal qu'elle se retire en sa faveur lors de cette même présidentielle, ne se rendant pas compte des implications qu'aurait eu la candidature d'un homme de soixante-seize ans à la magistrature suprême. D'une manière générale, c'est donc l'ensemble des anciens qui est en train de s'en aller, les dernières élections ayant montrées que c'étaient maintenant les baby-boomers qui sont sollicités pour les plus hautes responsabilités, la génération actuellement en place étant née bien après la fin de la seconde guerre mondiale. Même Laurent Fabius, pourtant né en 1946, n'apparaît plus comme un renouvellement au vu du temps qu'il a passé sur la scène politique française.

La génération qui prend fin aura duré de la fin des années soixante jusqu'au début des années 2000, étant elle-même née entre les deux guerres. Sa grande légitimité n'est pourtant pas exceptionnelle, cette caractéristique est même plutôt courante dans la classe politique française. Après tout, Adolphe Thiers avait connu une carrière d'une quarantaine d'années, et celle de Georges Clemenceau s'étend sur une cinquantaine d'années. A ce titre, les quarante années qui séparent la première élection de Jacques Chirac au poste de député et la fin de son mandat de Président de la République sont moins surprenantes. Certaines personnalités de second plan continuent d'ailleurs de siéger à l'Assemblée Nationale, avec les députés Didier Julia et Jean Tibéri qui y ont été élus pour la première fois respectivement en 1967 et en 1968, et font partie de la nouvelle législature.

L'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération permet de fait un renouvellement du personnel politique, qui était tout de même nécessaire. Il serait d'ailleurs souhaitable que ce renouvellement se fasse de façon plus fréquente, petit à petit. D'une manière générale, l'un des dangers de la condition de professionnel de la politique est de se couper de ses concitoyens, et rester indéfiniment dans ce milieu n'aide pas à écarter ce danger. Il faudrait en fait trouver un équilibre entre expérience politique, nécessaire pour occuper les postes à hautes responsabilités, et lien avec la vie quotidienne de la population, ce qui ne passe pas forcément par un mandat local, pour ne pas s'enfermer dans les querelles intestines propres au microcosme. Les manœuvres politiques semblent pourtant être l'un des passages obligés d'une carrière dans ce milieu. L'expérience de Raymond Barre le montre : arrivé en politique sans l'avoir vraiment voulu, il s'était présenté à la présidentielle de 1988. Ce fût un échec. Depuis l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, tous ceux qui sont devenus Président de la République avait fait de leur élection une obsession. Il faut espérer que de telles ambitions servent de véritables convictions. Sans cela, vouloir le pouvoir pour le pouvoir, et rester à son poste par pur orgueil ne sert pas les Français qu'ils représentent. Dès lors, mieux vaut apporter régulièrement un peu de fraîcheur dans le milieu politique.