C'était hier soir, au Sénat. Un amendement déposé par Gilbert Barbier est discuté. Il remplace dans le code de la santé publique "l'information écrite délivrée gratuitement au patient comprend, de manière dissociée, le prix d'achat de chaque élément de l'appareillage proposé" par "l'information écrite délivrée gratuitement au patient comprend, de manière dissociée, le prix de vente de ce dispositif médical". Dans ce texte qui concerne les dentistes, le changement de "prix d'achat" par "prix de vente" n'est pas anodin. L'obligation d'annoncer le prix d'achat des couronnes et prothèses par les dentistes avait été votée lors de la réforme des hôpitaux en 2009. Le but était de permettre aux patients de comprendre quelle part de sa facture revient à l'équipement, et quelle part revient au dentiste. C'était un dispositif utile pour établir la transparence, éventuellement faire jouer la concurrence, et surtout éviter les tarifs trop exagérés. En le changeant par prix de vente, cela annule tout, le dentiste vendant ce qu'il veut pour le prix qu'il veut.

La discussion fut d'une inanité singulière, on peut la résumer ainsi :

Gilbert Barbier, auteur de l'amendement : Cette obligation ne prend pas en compte les dentistes [et pour cause]. Le patient n'a pas besoin de savoir.

Alain Milion, rapporteur de la loi : La commission des affaires sociales s'est prononcée contre la suppression, plutôt que de s'en prendre à cette obligation, il aurait mieux valu l'appliquer, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Xavier Bertrand, ministre : Je ne suis pas défavorable aux consommateurs, mais les dentistes sont malheureux, donc passez outre l'avis de la commission.

Jean-Pierre Fourcade, auteur de la proposition de loi : Les dentistes ne veulent pas appliquer cette obligation, je suis donc pour sa suppression.

André Lardeux : Cessons de traiter les dentistes comme des chiens galeux !

Guy Fischer : Comme les dentistes ne peuvent pas se faire plus d'argent sur les soins moins sophistiqués, ils doivent pouvoir s'en mettre plein les poches sur les prothèses.

Claude Bérit-Débat : Les dentistes doivent pouvoir maximiser leur marge comme les autres.

L'amendement fut donc adopté dans une volonté explicite de faire plaisir aux dentistes et de laisser tomber les patients. L'association de consommateurs UFC Que Choisir fut très réactive, en dénonçant sur la place publique cette manœuvre corporatiste. Les dentistes ne voulaient pas de cette obligation prévue dans la loi de 2009. Comme le montrait un reportage récent de l'émission Capital, les couronnes et prothèses dentaires sont de véritables vaches à lait pour les dentistes, achetées de moins en moins cher grâce au développement d'ateliers dans des pays où la main d'œuvre est moins chère, et revendus à des tarifs souvent exorbitants à leurs patients mal informés. Ces prix ahurissants permettent aux dentistes de disposer d'une véritable rente placée issue des dents des Français.

L'obligation mise en place par la loi de 2009 aurait révélé la supercherie, c'est la raison pour laquelle la plupart des dentistes ne l'ont tout simplement pas appliquée. Un peu de lobbying aura suffi pour remettre le sujet sur le tapis, privilégiant les dentistes plutôt que les patients mis à genoux par les montants qu'on leur réclame. Mais si le Sénat l'a voté, ce n'est pas encore passé dans la loi. Les députés, en examinant cette question, devront se rappeler de l'impératif d'intérêt général.