Dimanche dernier, Jean-Louis Borloo s'est exclamé dans l'émission Ripostes "la présidentielle ce n'est pas la Star Ac'". Il faut dire qu'on pourrait parfois en douter, tant l'événement constitutif de la vie citoyenne peut se transformer en un spectacle où l'on regarde des candidats affronter des épreuves pour en fin de compte en choisir un. Au moins, on ne peut pas se plaindre que les Français ne s'intéressent pas à l'élection présidentielle... Mais visiblement, cette élection a pris une importance considérable, et génère une attention bien supérieure aux précédentes. Chacun semble croire, à tort ou à raison, que le 22 avril et le 6 mai prochain va se jouer l'avenir de la France. Certes, le poste de Président est d'autant plus convoité que ses pouvoirs sont importants. L'élection présidentielle a un effet d'entrainement sur les législatives qui suivront, c'est donc l'orientation tant du pouvoir éxecutif que du pouvoir législatif qui sera décidée à l'issue de ce débat. Néanmoins, si beaucoup de choses peuvent et doivent changer, on peut s'interroger sur l'ampleur et la précision du mandat qui sera donné aux prochains gouvernants. Ainsi, tous les thèmes sont mis sur la table, avec à chaque fois des citoyens qui exigent que les candidats s'engagent en faveur, ou du moins expriment leur position sur tel ou tel point précis. D'un côté, un programme précis et amplement discuté peut être une force pour le candidat élu, car cela lui donne la légitimité de mettre en application ses idées après son élection. D'un autre, cette tendance méconnaît le fait que la vie démocratique d'un pays ne s'arrête pas l'élection présidentielle passée : lors des cinq prochaines années, le parlement devra continuer à peser le pour et le contre des lois, le dialogue social devra s'opérer avec les partenaires sociaux, et il faudra de toutes façons prendre compte de contraintes imprévues qui ne manqueront pas d'arriver. C'est donc chaque jour que le débat doit avoir lieu, et si ces jours-ci il est particulièrement intense, il ne faut pas que tout le monde agisse de façon à croire qu'il cessera dans deux mois.

En outre, on peut parfois se demander si l'intérêt général est au coeur de la préoccupation de tous. Bien sûr, les défenses de l'environnement, des professions de santé ou de l'enseignement relèvent toutes de l'intérêt général. Nicolas Hulot avait eu un rôle utile en voulant mettre en avant l'écologie dans la campagne. Mais le succès de sa démarche a inspiré bon nombre de groupes d'intérêts, aux rôles moins clairs. Par exemple, ce sont les enseignants qui souhaitent que l'on parle d'éducation, les intermittents du spectacle qui veulent que l'on parle de culture, jusqu'à arriver aux chasseurs qui auditionnent les candidats sur la chasse. Sous couvert de parler de thèmes politiques, ce sont des lobbys qui apparaissent en filigrane, voulant défendre en fin de compte des intérêts très particuliers. Cette réflexion sur le mode "comment cette élection présidentielle peut-elle me bénéficier" se traduit également dans les pensées d'un grand nombre d'électeurs. On a pu s'en rendre compte dans l'émission "J'ai une question à vous poser", où l'étudiant posait une question sur les débouchés des études, le petit commerçant sur le rôle des grandes surfaces, la personne venant des DOM sur le prix des billets d'avions entre les Antilles et la métropole, bref, où chacun se soucie du problème en priorité que du problème qui le concerne. Voilà pourquoi les questions ayant trait à la politique étrangère sont rares, même si les Français souhaitent que les candidats aient au minimum une certaine stature.

Et lorsque l'on ne se préoccuppe pas de soi-même dans ce débat, c'est pour le regarder à la manière d'un spectateur. Comme une compétition sportive, où les sondages omniprésents font office de tableau de score, et une presse à l'affut de la moindre polémique en croyant que cela rend l'élection specaculaire. Ou comme une émission de télé-réalité, où l'on est très détaché à la vision de ces candidats dont on se moque volontiers. En tous cas, si la campagne pourrait certes être bien pire, on peut tout de même regretter que le débat ne soit pas plus serein, et exclusivement orienté sur la recherche de la meilleure façon de défendre l'intérêt général.