Certains commentateurs de la vie politique, tel qu'Eric Dupin, considèrent que la campagne présidentielle est marquée par un certain virage à droite de l'ensemble des candidats. Du fait, notamment, que les thématiques d'ordre sont reprises par les socialistes, et sont pleinement assumées par la droite, ce qui n'était pas toujours le cas auparavant. Pourtant, le virage à droite est souvent fantasmé. Car en fait, c'est souvent un procédé d'une partie de la gauche que de vouloir rejeter l'autre partie comme étant à droite, ou bien trop à droite, ce qui dans leur esprit revient au même. Historiquement, il apparaît surtout que le spectre politique glisse à gauche de façon séculaire : chaque formation politique se voit débordée par une nouvelle qui sera plus à gauche qu'elle. Ainsi, aux débuts de la IIIème République, les radicaux avaient gagné ce qualificatif pour leur intransigeance en faveur de la République, de la laïcité et des libertés. En comparaison des royalistes ultras et des royalistes modérés, ils étaient radicaux dans leur opposition frontale à la restauration de la monarchie. Mais au fil des ans, un nouveau corps politique a pris forme : les socialistes sont entrés dans l'Assemblée Nationale pour défendre une plus grande intervention de l'Etat dans la vie économique du pays et pour adopter des lois améliorant les conditions de vie des plus pauvres. Les royalistes ultras quittèrent pour le coup la vie politique française, et même les modérés ne devinrent que des républicains conservateurs. Après la révolution russe, le congrès de Tours marqua l'apparition du parti communiste. Il s'agissait cette fois de fonder la société communiste où l'Etat serait l'ordonnateur de l'ensemble de la vie économique. Cette fois-ci, les radicaux passèrent au centre de la vie politique française, rendant l'adjectif qui les caractérise bien éloigné de la réalité d'aujourd'hui. Et cela continue pendant les années 80 et 90 du XXème siècle : en se frottant au pouvoirs, les communistes ont perdu leur qualificatif d'extrème gauche, ce qui est désormais le domaine des trotskistes. Depuis une trentaine d'année, les radicaux sont désormais une des composantes de la droite.

Ce qui est appelé virage à droite n'est qu'en fait la fin (ou l'arrêt temporaire) de la glissade historique du spectre politique vers la gauche. Il apparaît qu'un parti politique qui est confronté aux responsabilités est poussé à faire usage de pragmatisme, et donc de réformisme, ce qui n'est pas vraiment la caractéristique de la gauche de la gauche. On pourrait se réjouir que les partis extrémistes doivent se soumettre aux réalités et se convertissent, même sans l'avouer, au réformisme. Mais c'est surtout désolant de constater qu'apparaît alors systématiquement une force politique qui prône le dogmatisme pour se donner bonne conscience. C'est ce qu'on voit actuellement, où, en plus du PS, des Verts qui ont perdu leur neutralité pour passer à la gauche soixante-huitarde, du PC, il y a désormais trois partis trostkistes en lice pour la présidentielle (Lutte Ouvrière, la LCR, le Parti des Travailleurs), et même un candidat "anti-libéral", qui n'est qu'un autre nom pour désigner l'extrème gauche. Et personne ne semble s'indigner qu'il y ait autant d'extrémistes dans la vie politique française. Ce n'est pourtant pas vraiment ce dont la France a besoin.

Cela a au moins le mérite de faire relativiser les attaques sur le fait d'être de centre gauche, de centre droit ou de droite. La droite d'aujourd'hui n'a pas de lien direct avec les droites qui se sont succédées par le passé. Par contre, il faudra quand même veiller que les forces de la déraison n'amène pas un jour à faire considérer que le réformisme puisse être d'extrème droite. Car c'est bien à la gauche de la gauche que la bien pensance, qui est une forme terrorisme intellectuel, naît. Les valeurs humanistes sont, quoi que certains puissent dire, bien réparties entre les différents mouvements politiques.