La campagne présidentielle de 2007 est très différente de celle de 2002, tant elle semble mobiliser toute la France. Il faut dire qu'il y a cinq ans, le morne affrontement entre Jacques Chirac et Lionel Jospin avait provoqué l'indifférence, puis la stupéfaction lorsque le résultat final fut révélé. Cette fois-ci, on a la chance d'avoir un vrai débat de fond de par les thèmes abordés par les candidats, et par leurs propositions. Mais s'il y a du fond, il n'est pas toujours facile d'y avoir accès, tant le traitement de la campagne réalisé par les médias est de qualité variable. Que ce soient la presse, la radio ou la télévision, les médias ont l'avantage d'avoir la haute main sur le contrôle des informations, ce qui leur permet de répliquer immédiatement à toute attaque faite à leur encontre. A chaque fois que le travail des journalistes est critiqué par quelqu'un d'extérieur, ils se sentent souvent concernés en tant que groupe et répondent de façon corporatiste. Pourtant, ils gagneraient à écouter les critiques que l'on peut leur faire. La principale étant le fait qu'ils s'intéressent souvent beaucoup trop à l'écume des choses, au côté spectaculaire.

Du sang et des larmes, voilà ce dont ils sont friands. La culture auto-entretenue du scoop ou de l'événement les entraine à surmédiatiser des faits sortant de la banalité, mais qui ne touchent pas forcément au coeur des choses. Ainsi les journalistes politiques ont un grand tort, celui de vivre dans le microcosme politicien et d'être presque totalement déconnecté de la réalité du reste de la France. Heureux de pouvoir assister à des scènes qui ne sont pas accessibles à tous, ils se targuent de connaître les dernières rumeurs, les inimités entre personnalités politiques, les affrontements feutrés et en oublient de se pencher sur le travail que eux ne voient pas, dans le bureau de ceux qui agissent. Leurs articles relèvent donc de la chronique du microcosme, sans parler en fin de compte de vraie politique, des décisions prises. De même, ils ne jugent le succès qu'à l'aune des sondages, dont ils sont totalement dépendants pour savoir ce que peut penser le reste des Français. On est dès lors plus loin de la compétition sportive, où les journalistes décrivent les coups donnés et reçus, en regardant les sondages pour savoir qui mène, sans davantage de rigueur sur l'information en elle même. Car c'est bien la rigueur journalistique qui est à la peine.

Le concept d'honnêteté intellectuelle est souvent bien peu pertinent pour décrire les mécanismes de la rédaction d'un article. Trop souvent le journaliste donne son point de vue en même temps que le fait, tant et si bien que l'information devient le fait plus la façon dont il faudrait considérer le fait. Il se trouve que dès que l'on touche à l'"analyse" ou au "décryptage", on se vautre dans la subjectivité. Certes, il est impossible d'atteindre l'objectivité parfaite lorsqu'il faut rendre compte de quelque chose, mais au moins peut-on essayer de mettre des limites à ce degré de subjectivité. Et pour cela, il faut veiller à bien séparer le fait de l'opinion du journaliste. Evidemment, certains journaux ou magazines, tels que Libération, Marianne ou Valeurs Actuelles assument totalement leur subjectivité de traitement de l'information et n'essaient même pas de faire autre chose que d'interpréter des faits à la réalité devenue éloignée pour mieux servir la cause qu'ils défendent. Si le débat d'idées est toujours intéressant, il serait vain néanmoins de vouloir s'informer à propos de quoi que soit en lisant ces revues. Pour les médias qui se veulent soit neutre, soit d'une certaine honnêteté intellectuelle, il est nécessaire de séparer au maximum les faits bruts des commentaires qui peuvent éventuellement l'accompagner.

Même en opérant de la sorte, il n'est pas certain que la qualité de l'information soit suffisante. En effet, le choix des informations publiées est déjà le résultat d'une certaine orientation. Et c'est dans ce traitement différencié des faits que l'on peut chercher un autre degré de subjectivité. Beaucoup parlent de la main-mise de grandes entreprises sur les principaux médias, ce qui profiterait de fait aux patrons concernés dans la promotion de leurs idées. D'autres prennent également en compte que les journalistes sont très majoritairement à gauche, indépendemment de leur rédaction, et sont ainsi influencés par leurs convictions dans leur travail. On peut discuter du poids relatifs de ces deux facteurs, mais il reste que pour les médias qui se veulent neutres, il y a un autre facteur que la partialité de conviction qui entre en compte parmi les biais du traitement de l'information. Résultat de la concurrence entre médias ou effet de l'addiction à l'info "chaude" de la part des journalistes, il se trouve que les médias ont tendance à tous se jeter sur la même information, parfois très secondaire, plutôt que de se consacrer aux sujets fastidieux mais importants.

Ainsi, dans cette campagne, les médias ont pour leur majorité consacré un soin particulier à couvrir polémiques, sondages (parfois bidonnés, comme le montre le cas de l'institut CSA) et petites affaires issues des ragots imprimés par le Canard Enchainé. Pendant ce temps là, les candidats parlaient dans leurs discours de la plupart des grandes thématiques qui compteront pour les cinq prochaines années, et il faut remercier les quelques sources qui permettent d'en prendre connaissance, ainsi que les émissions qui se consacrent aux dossiers de fond, à l'instar de France Europe Express sur France 3. Parfois, il est nécessaire de chercher soi même les informations sur les sites ou les documents réalisés par les candidats. Lorsque ceux-ci sont interrogés par certains interviewers, ils ne peuvent éviter les trop nombreuses questions sur l'orientation des sondages, les petites luttes politiciennes qu'on leur prete, ou la dernière polémique qui agite les agences de presse, seuls thèmes qui intéressent vraiment les journalistes du microcosme, mais dont se moquent la plupart des Français.

Dès lors, ce n'est plus l'image de médias utilisés par tel ou tel groupe pour manipuler la population qui apparait. C'est plutôt l'image d'un troupeau de moutons qui saute aux yeux, tant ils semblent manquer de sang froid et de maîtrise d'eux même, préférant suivre aveuglement et collectivement le dernier fait qu'ils croient spectaculaires. Si l'un des moutons de ce troupeau entend un bruit qui attise sa curiosité, il changera de direction pour voir ce qu'il en est. Tous les autres, le voyant s'éloigner, prendront l'initiative de le suivre, perdant de vue le but où ils voulaient aller. Ils iront donc tous dans la même direction, oubliant rapidement le sens de leur démarche, et changeront à nouveau de direction dès qu'un autre mouton s'éloignera des autres pour une raison ou pour une autre. Mieux vaut ne pas se retrouver sous les pattes de ce troupeau de mouton, car ils écrasent sans finesse tel un rouleau compresseur chaque sujet qu'ils viendraient à aborder. Un troupeau livré à lui même, sans berger, et disposant d'une force terrifante, voilà la réalité du système médiatique actuel. Bien sûr, c'est le lot de la liberté de la presse. Il n'est pas question de vouloir les reprendre en main d'autorité, la liberté de la presse étant la liberté de dire ou d'écrire n'importe quoi, y compris sur des sujets sérieux. On ne peut pas dire que les médias s'en privent. Au moins n'est-ce pas trop que de demander qu'ils respectent ceux qui les lisent, écoutent ou regardent, en faisant un plus grand travail de rigueur vis-à-vis de l'information. Et que par exemple, ils citent davantage les propositions des candidats faites dans leurs discours, plutôt que de ne retenir que les attaques personnelles qui n'occuppent que quelques secondes sur une heure de vision des choses.