En recevant le très réputé prix Charlemagne, le gouverneur de la Banque Centrale Européenne Jean-Claude Trichet a plaidé en faveur d'un ministère des finances européen. Avec la monnaie unique, la mauvaise gestion des finances publiques d'un pays de la zone euro a des conséquences pour ses voisins : les déficits publics entraînent la création d'emprunts qui mettent à mal la stabilité de la monnaie. Un ministre des finances européen pourrait alors surveiller les budgets des pays de la zone euro et prendre les décisions pour un pays qui serait gravement en difficulté. Et même avant la création d'un tel ministère, Jean-Claude Trichet considère qu'un tel mécanisme devrait être mis en place. Faire gérer ses finances publiques par quelqu'un d'un autre pays a de quoi faire grincer des dents. Le budget de l'Etat est une décision régalienne, et ce serait certainement vu comme une perte de souveraineté sur un élément déterminant de la vie d'un pays.

En soi, le raisonnement n'est pas absurde. Dès le départ, la création d'une monnaie unique pour plusieurs pays a supposé la création d'une direction commune de la politique économique. C'était la raison d'être du Pacte de Stabilité et de Croissance et des critères de convergence inscrits dans le Traité de Maastricht. Ces critères n'ont pas été assez respectés par le passé, et c'est pourquoi on étudie désormais des manières de le rendre plus contraignant. La Grèce, qui pose tant de problèmes actuellement, n'avait de toute façon rejoint l'eurozone qu'en 2001 (contre 1999 pour les autres pays), et cela en falsifiant ses comptes publics. Un ministre des finances européen n'aurait pas vraiment pu mieux s'en rendre compte que les institutions européennes actuelles.

En l'état, il est peu probable qu'une telle innovation institutionnelle puisse être adoptée ces temps ci. La question de la légitimité d'une telle direction européenne se poserait immédiatement. Dans l'idée de la construction européenne, il n'y a pas de vraie perte de souveraineté, mais seulement celle d'un partage de souverainetés. Nous mettons tous ensemble en place des règles communes, qui s'appliquent à nous tous. Là, ce serait une contrainte supplémentaire, considérée comme venue de l'extérieure, et où le pays "repris en main" n'aurait pas grand chose à dire. D'ores et déjà, la Commission Européenne est critiquée pour n'être pas issue de l'expression démocratique (elle est bien plus choisie par le Conseil Européen que par le Parlement Européen)...

Il est facile de critiquer l'euro et les contraintes qu'il apporte. Mais depuis la première guerre mondiale et la disparition de l'étalon-or, la question des changes est un problème économique majeur pour l'ensemble des pays de la planète. Il suffit de voir l'effet qu'ont les variations de l'euro avec le dollar, ou bien la surévaluation du yuan, pour se convaincre que les taux de change flottants sont difficilement une solution pleinement satisfaisante. L'euro a permis une stabilité totale pour le commerce entre pays qui échangeaient le plus les uns avec les autres qui sont en Europe. Il y a encore des difficultés certaines, mais le progrès est là. Ensuite, il faudrait en effet une véritable politique économique commune. Qu'un ministre des finances européens se transforme en père fouettard est néanmoins probablement contre-productif.

A vrai dire, il n'y a pas vraiment d'exemple d'un tel dispositif. Aux Etats-Unis, l'Etat fédéral n'a même pas à se soucier des finances publiques de chacun de ses Etats alors que ceux-ci sont souvent en déficits et endettés. Il est vrai que l'Etat fédéral américain a une autre envergure financière que les institutions de l'Union Européenne. Quoi qu'il en soit, un nouveau bond fédéral en Europe ne saurait se faire sans l'adhésion de la population : plutôt que de le lui imposer, il faudrait que ce soit elle qui le demande.