Ce genre de faits divers revient assez souvent : des voleurs en commettant leur forfait font face à la riposte armée des agressés, et l'affaire tourne mal pour les malfrats. Lorsque ceux-ci viennent à mourir, celui qui a tiré est accusé d'homicide, et est généralement envoyé aux assises pour répondre de ses actes. Tel était le fond de l'affaire (vieille de huit ans) dans un procès qui a eu lieu à Nancy la semaine dernière, où un pharmacien avait tiré sur les deux braqueurs qui lui volaient sa caisse. L'un d'entre eux est mort, l'autre a réussi à fuir plusieurs mois. Le pharmacien avait tiré trois coups de feu, le premier lorsqu'ils étaient encore dans son officine, les autres à l'extérieur, où un passant a d'ailleurs été blessé et le chien de celui-ci tué. L'avocat du pharmacien a plaidé la légitime défense. Il se trouve qu'il faisait du tir sportif, alors que l'arme des malfaiteurs était factice. La semaine suivante, sa pharmacie fut incendiée par des inconnus. Une autre affaire, plus médiatisée, remonte à l'automne dernier. Un homme se fait molester lors du cambriolage de son appartement par trois malfaiteurs cagoulés. En se débattant, il réussit à récupérer l'arme de ses agresseurs, tire dans la direction de l'un d'entre eux qui tombe de la fenêtre en fuyant, et meurt. Lorsqu'il fut placé en détention provisoire, de nombreuses personnes se sont émues du fait qu'il n'est fait que répondre à une agression.

Dans les deux cas, la question de la légitime défense est posée. Celle-ci a une limite : nul ne doit faire justice soit même. On est bien loin des Etats-Unis, où le droit à la détention d'armes permet de répliquer de façon violente à une agression. En France, même lorsque des détenus s'évadent et restent à portée de tir, ou bien dans d'autres situations, il est interdit de se servir d'une arme à feu en direction de quelqu'un à part dans un cas particulier : il faut qu'il y ait une menace évidente et directe sur la vie. Cette doctrine vise déjà à rendre les situations difficiles moins dangereuses : s'il est entendu que personne (y compris chez les forces de l'ordre ou les agressés) ne fera usage de la force, les agresseurs s'en serviront moins eux-mêmes pour se protéger, agresser ou prendre la fuite. Il est vrai qu'avec le foisonnement des armes à feu aux Etats-Unis, les morts par balles y sont incroyablement plus nombreux qu'en France

Mais le principe vaut également dans les situations où aucune arme à feu n'est impliquée : si l'on blesse sérieusement un malfaiteur en tentant de se défendre d'une agression d'une quelconque façon, on ne coupera pas à une enquête appronfondie qui visera à vérifier que l'intégralité physique était bien menacée. Il peut paraitre paradoxal que l'agressé qui essaie de se défendre soit mis au ban des accusés. En l'occurrence, le pharmacien a été reconnu coupable d'homicide volontaire et a été condamné à cinq ans de prisons, dont deux fermes. Cela laisse l'impression que les victimes potentielles n'ont d'autres choix de plier, ce qui les met sur un pied d'inégalité avec leurs agresseurs qui se moquent de toutes façon des lois. Le principe relève en tous cas du droit fil de la doctrine juridique. D'une manière générale, seul l'Etat doit pouvoir user de la force. Voilà pourquoi la Justice ne se sert de son glaive qu'après avoir pesé le cas dans sa balance, selon l'allégorie. Il reste néanmoins une impression étrange, lorsque l'agressé ne peut se défendre, lorsque des émeutes éclates quand quelqu'un meurt en forçant un barrage de police, lorsqu'il y a des représailles à l'encontre de ceux qui dénoncent des activité délictueuses... La légitime défense, tout en restant mesurée, ne doit pas être élevée au rang de nouveau délit, alors que parfois le rapport de force semble si distandu entre victimes et agresseurs.