Lui qui se plaignait de ne pas être assez repris par les médias, le voici servi. François Bayrou est depuis plusieurs semaines au centre d'une tempète médiatique comme il y en a souvent, où tous les journaux ne parlent que d'une chose (et sur un ton laudatif). Il y a quelques mois, le phénomène s'observait autour de Ségolène Royal. Actuellement, c'est autour de lui. Il bénéficie ainsi d'un cercle vertueux, où ses apparitions médiatiques omniprésentent favorisent les montées dans les sondages, qui encouragent les journalistes à parler encore de lui. Cela lui permet de trompetter partour qu'il va gagner, ne doutant pas une seule seconde de sa prochaine victoire, et de se montrer méprisant pour ses adversaires directs. Mais que se passera-t-il lorsqu'il sera élu, puisqu'il ne peut pas en être autrement selon lui ? François Bayrou, fort que d'une vingtaine de de députés, devra avant tout trouver une majorité susceptible de soutenir un gouvernement qui lui soit favorable. Lorsqu'on lui pose la question, François Bayrou parie sur un gouvernement d'union nationale qui se ferait autour de lui, ou viendrait les bonnes volontés de la droite comme de la gauche. C'est évidemment plus facile à dire qu'à faire. Par exemple, à gauche : si les modérés de ce bord le rejoignent, ils pourraient être assez nombreux après les élections législatives pour pouvoir n'être responsables que devant eux mêmes, créant une cohabitation de fait. Ou bien François Bayrou deviendrait le chef de file de la gauche (certes refondée) tout simplement. Mais c'est peu probable dans la mesure où Dominique Strauss-Kahn, considéré comme le leader des sociaux-démocrates au sein du PS, sera certainement plus enclin à organiser sa candidature de 2012, plutôt que de se soumettre aveuglement à François Bayrou, qui reste un chrétien démocrate, et donc est du centre-droit. Vouloir unir la droite et la gauche dans le même gouvernement est encore plus risqué. Il faudra bien prendre des décisions claires sur les dossiers importants : que faire pour les régimes de retraites (abrogation de la réforme Fillon ? fin des régimes spéciaux ?), faut-il régulariser les sans-papiers, doit-on s'orienter encore plus vers l'Etat providence, ce sont autant de questions sur lesquelles il n'y a aucun conscensus gauche/droite.

En somme, une telle alliance contre nature signerait cinq années d'immobilisme, alors qu'il est justement nécessaire de donner une direction claire dans cette campagne électorale pour orienter l'action à venir. Le pari de l'union nationale revient en fin de compte à espérer que tous les problèmes se règlent d'eux mêmes, sans rien connaître des pistes de solutions. Surtout qu'en cas d'échec d'un tel gouvernement, l'alternance n'est plus possible. A moins évidemment de donner les clés du pays aux formations extrémistes, comme Lutte Ouvrière ou le Front National. Il faut dire qu'un tel dispositif ne se justifie que dans des situations extrèmement graves, où il ne peut y avoir de divisions, où même le processus démocratique semble suspendu. L'union nationale est le mode de gouvernement des temps de guerre, quand chacun oublie ses convictions sur la gestion du pays pour se regrouper face à une attaque extérieure. Certes, la France n'est pas particulièrement un pays sans problème, mais nous ne sommes pas dans une situation de guerre extérieure, seul moment où l'union nationale est pertinente, vis-à-vis des risques pris avec la démocratie.

Dans le cas proposé par François Bayrou, l'union nationale devient donc un dangereux engagement d'immobilisme. Cela peut paraitre séduisant sur le papier, mais cela ne relève pas du réalisme. Peu importe en fait pour ceux qui comptent voter pour François Bayrou. Il s'agit là d'un vote contestataire, de rejet. Ségolène Royal ne donne pas l'impression d'avoir la stature nécessaire et les compétences requises pour le poste. Beaucoup sont mal à l'aise avec l'énergie affichée par Nicolas Sarkozy et les réformes fortes qu'il propose. François Bayrou n'apparait pas comme directement dangereux, il ne cesse de se proclamer comme venant en dehors du système (alors qu'il en a toujours été au coeur), il apparait donc comme un recours pour ceux qui le connaissent assez mal et pour qui il apparait comme neuf.

Dès lors, il n'est pas étonnant que François Bayrou soit soudainement devenu élogieux vis-à-vis du Président Jacques Chirac, alors qu'il a refusé de l'aider dans son action. On peut en effet reconnaître en lui certains traits de Jacques Chirac, dans la prudence à faire des réformes, ou dans le fait de ne pas assumer l'appartenance à la droite. Au moins, Jacques Chirac avait lui une majorité claire pendant ces cinq dernières années pour avancer sur plusieurs dossiers, comme l'insécurité ou les retraites. François Bayrou dit qu'il aura forcément une majorité, comptant en fait bien plus sur l'émergence d'un grand parti pour sa majorité présientielle, où tout le monde penserait comme lui (c'est à dire qu'il est la bonne personne pour être à la présidence) et qui écraserait les autres formations. Tout ce qu'il a toujours reproché à l'UMP en fait, le seul tort de ce parti étant, au bout du compte, d'être dévoué à quelqu'un d'autre que lui.