Pour commencer un tour d'horizon sur les liens entre l'Union Européenne et les pays qui la compose, concentrons-nous sur la situation de l'autre pays qui a refusé le Traité Constitutionnel en 2005, quelques jours après la France, les Pays-Bas. Si le vote négatif de nos deux pays a eu pour effet de bloquer de fait la construction européenne, on est obligé de constater que les raisons invoquées en faveur de ce rejet étaient bien différentes entre la France et les Pays-Bas. Certes, il y a l'impondérable du vote totalement à côté de la question, et que ce soit ici ou du côté des Néerlandais, de nombreuses personnes ont d'abord voté "non" pour montrer leur hostilité à leurs gouvernements, chacun en période d'impopularité, alors que ceux-ci soutenaient l'adoption du traité. Mais à part ça, peu d'éléments semblables.

En effet, là où en France on considère que le rejet a été d'abord entraîné par la gauche et l'extrème gauche, aux Pays-Bas, pays assez libéral, ce fût bien l'euroscepticisme qui poussa au vote négatif. Ainsi, lorsque la gauche française refuse d'être considérée comme hostile à l'Europe et comme preuve, annonce qu'elle préfère une autre Europe, plus sociale (dans le sens où prestations sociales et salaires mimimum seraient garanties par l'Union Européenne), les rares partis néerlandais qui ont combattu le texte l'ont fait sur la base de la peur de l'étranger. Celle-ci reposait en fait sur des mouvements mal compris, voire mal justifiés dans le principe. Par exemple, l'élargissement fait auprès de dix nouveaux pays sans que l'Union Européenne soit vraiment préparée à un tel bouleversement a fait naître des inquiétudes dans l'opinion publique des Pays-Bas, mais pas seulement. Bien plus grave, la volonté des dirigeants européens de faire rentrer la Turquie dans l'Union Européenne sans se soucier du sentiment des peuples européens a poussé ceux-ci à l'affolement, constatant (avec raison), que sur de telles bases, la construction européenne perdait toute signification, et tout contact avec les citoyens des pays d'Europe. En l'occurrence, la question ne portait pas sur ce point précis, mais l'opportunité de l'adhésion de la Turquie méritait largement un débat dès le départ sur le principe même. Ce débat n'ayant pas été fait, montrant de facto que la construction européenne se faisait de façon déconnectée de la population européenne, il était évidemment bien plus difficile de demander un raisonnement serein sur les institutions européennes.

Mais il y a quand même eu un débat sur le poids accordé aux Pays-Bas dans la Constitution Européenne. L'accusation qui fut portée était que les nouvelles institutions que celle-ci apportait étaient défavorables aux Pays-Bas, dans le sens où elles leur donnait moins de poids dans la prises de décision. En toute honnêteté, il faut dire que cela était vrai. C'est en fait le Traité de Nice qui avait le tort de demander une majorité qualifiée très importante pour faire avancer chaque projet, ou une minorité de blocage assez faible. Ainsi, le poids politique des "petits pays" était largement plus que proportionnel à leur nombre d'habitants. En fixant la majorité qualifiée à 55 % des pays et à 65 % de la population dans la prise de décisions sur les dossiers émanant de la Commission Europénne, le Traité Constitutionnel Européen redevenait raisonnable sur ce point là, et aurait ainsi permis d'avancer plus facilement dans la construction européenne. Mais les Pays-Bas n'ont vu que le fait que leur influence diminuerait en conséquence, leur soutien aux réformes engagées ne devenant plus obligatoire. En appeller à l'intérêt général pour résoudre la question devient alors épineux, car faut-il prendre en compte l'intérêt général au niveau de l'intérêt de la population néerlandaise ou bien à celui de l'ensemble de la population européenne ?

C'est toute la question de l'Europe en tant qu'institution politique. Le principe de subsidiarité, appliqué d'une manière générale, dirait que pour un dossier de taille nationale, c'est un Etat particulier qui est compétent, et que pour une question qui se pose à l'échelle de plusieurs pays, c'est l'Union Européenne qui est la première concernée. Si le principe de subsidiarité est rigoureusement appliqué par l'Union Europénne, c'est alors l'intérêt général au niveau européen qui devient le seul légitime. Sur ce principe, les Pays-Bas auraient alors du accepter une diminution de leur capacité d'interférence pour le bien être collectif. Du reste, cette baisse d'influence institutionnelle ne devait pas nécessairement devenir une baisse d'influence réelle, tant c'est la pratique des institutions qui détermine les influences réciproques. Il n'est jamais bon que la construction européenne se fasse via le passage en force, et l'approbation néerlandaise devait rester souhaitable en pratique pour que l'évolution soit vraiment positive.

A l'aune de cette analyse, il apparaît que les électeurs français n'ont eux pas plus voté en prenant compte l'intérêt particulier de leur pays que l'intérêt général européen. En effet, puisque mécaniquement, ce nouveau traité donnait un poids plus important à la France dans la prise de décision. D'une manière générale, si la construction européenne repose toujours d'abord sur les locomotives françaises et allemandes (même si actuellement celle française est bien à la peine), il faut veiller à ce qu'aucun pays ne se sente exclu de la façon dont la construction européenne est menée. Cela peut paraître relever de l'idéalisme naïf, mais il serait souhaitable, dans l'absolu, qu'il y ait une prise en compte de notre intérêt général commun à tous les pays d'Europe, chez chaque citoyen, pour que la suite se passe au mieux.